Le paradoxe Fernando Santos

Dimanche 9 juin, Porto, au stade du Dragon, 21h30 heure locale approximativement, les joueurs, les supporters, le peuple portugais exultent : le Portugal remporte la première édition de la Ligue des Nations, en battant les Pays-Bas (1-0). Trois ans après l’Euro 2016, Fernando Santos apporte un deuxième titre européen au Portugal.

À peine le temps de savourer ce succès que « l’Ingénieur » est déjà tourné vers l’avenir : « Cela restera dans l’histoire, mais c’est tout. Maintenant, nous devons continuer à travailler et poursuivre d’autres objectifs, » déclare-t-il en conférence de presse après la rencontre. Et bien oui, le sélectionneur de 64 ans ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et rêve de marquer l’histoire une fois de plus en obtenant un nouveau sacre à la tête de la sélection portugaise.

Cependant, Fernando Santos ne fait pas l’unanimité auprès de la presse, comme auprès des fans de l’équipe nationale portugaise. Qui aurait pu l’imaginer ? Compte tenu du récent passé tragique de cette équipe, qui d’époque en époque n’a jamais conquis le moindre titre… C’est pourtant le cas ! Alors pour quelles raisons Fernando Santos divise autant ? Explications :

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Arrivé par la petite porte …

Suite au fiasco de la Seleçao de Paulo Bento, lors du mondial au Brésil avec une élimination dès le premier tour, et une lourde défaite face à l’Allemagne (4-0), Fernando Santos arrive en 2014 à la tête de la sélection, à la plus grande surprise du grand public. Il se voit donc confier la lourde tâche de redonner confiance à une sélection en perdition.

Immédiatement, l’ex-sélectionneur de la Grèce remet de l’ordre et impose sa patte sur l’équipe avec une philosophie simple : il faut gagner, et qu’importe la manière. Avec lui, le Portugal devient une équipe solide défensivement et redoutablement efficace devant les buts. Les rouges et verts retrouvent le goût de la victoire, très souvent par un seul petit but d’écart, mais ils gagnent.

Pour cela, Santos fait appel à de nombreux jeunes joueurs comme Renato Sanches, André Gomes, João Mario ou Raphaël Guerreiro, tout en s’appuyant sur des cadres expérimentés, à l’image de Pepe et Cristiano Ronaldo et en rappelant des bannis sous l’ère Bento, tels que Quaresma ou Ricardo Carvalho. Ce mélange porte ses fruits certes, mais toujours au détriment du jeu.

Le Portugal qui avait souvent pris la mauvaise habitude de se qualifier pour les grandes compétitions en passant par la case barrages, se qualifie directement pour l’Euro 2016, sans concéder la moindre défaite, mais remportant toutes ses victoires par un but d’écart. On est alors bien loin du football spectaculaire proposé par le Portugal entre 2004 et 2006 avec Figo, Ronaldo, Deco et consort… Cependant, le groupe adhère au projet au fil des victoires, tout comme les supporters et la presse nationale.

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… au statut de héros !

Deux ans après sa nomination, Fernando Santos s’envole pour la France afin de disputer l’Euro 2016. Durant cette compétition, la sélection portugaise reçoit un nombre incalculable de critiques, logiques et constructives tant le jeu proposé est moyen, mais surtout en raison d’une qualification poussive en huitièmes de finale, obtenue grâce à trois matchs nuls (Islande, Autriche, Hongrie).

Même chose pour la phase finale : pauvre en spectacle, mais riche en émotions. Le Portugal se qualifie en prolongations face à la Croatie (1-0), puis aux tirs aux buts face à la Pologne (1-1, 5-3 tab). En demi-finale, les hommes de Santos remportent leur unique victoire de la compétition lors du temps réglementaire (2-0) contre le Pays-de-Galles de Gareth Bale. Il fallait tout de même patienter deux ans pour voir les hommes de Santos remporter un match officiel par deux buts d’écart.

Mais l’ingénieur avait donné rendez-vous à la presse ainsi qu’à ses détracteurs : « Je ne retournerai au Portugal que le 11 et je serai reçu en fête ». Et Santos a bien tenu sa parole, sans jamais changer sa ligne de conduite. Au terme d’un match musclé, le Portugal, légèrement dominé par la France, résiste tant bien que mal, mais finit par réaliser le coup parfait … grâce à un coaching payant de Fernando Santos. Alors que le Portugal souffre, il décide de sortir un milieu de terrain, Renato Sanches, en lieu et place d’un attaquant : Eder… Un coup tactique qui sera payant à la 109e minute : moment ou Eder délivre toute une nation, d’une frappe soudaine en dehors de la surface, 1-0. Fernando Santos écrit l’histoire et devient le premier sélectionneur à remporter une compétition avec le Portugal.

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Après ce titre, le Portugal enchaîne et devient une nation à craindre. Une équipe difficile à battre, solide défensivement, avec un atout offensif, Cristiano Ronaldo, capable du meilleur, à n’importe quel moment. Encore un reproche récurent à l’encontre de Fernando Santos : l’équipe manque de créativité, semble limitée dans l’utilisation du ballon et s’en remet bien trop souvent à son meilleur buteur. Le dernier mondial en Russie en atteste. Cristiano Ronaldo sauve la tête de son sélectionneur en inscrivant un magnifique triplé face à l’Espagne (3-3), puis l’unique but de la rencontre face au Maroc (1-0).

Opposé à l’Uruguay en 8e de final, le Portugal se faire prendre à son propre jeu (2-1). Piégé par la Celeste, Fernando Santos ne trouve pas la solution et voit sa sélection poussée prématurément vers la sortie.

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Le jeu au détriment du résultat ?

Au delà de ses deux titres remportés, Fernando Santos bénéfice de la confiance des cadres du vestiaire, point ô combien important pour continuer de diriger cette équipe. C’est un homme qui fédère : il a cette facilité de convaincre et tous sont prêt à tout donner sur le terrain pour lui. L’ancien entraîneur de Benfica, du Sporting et de Porto est même devenu le recordman de victoires à la tête de la sélection avec 26 succès. Tous ces éléments plaident bien évidement en sa faveur.

De plus, on ne pourra pas lui enlever le fait de tenter : d’essayer de nouveaux dispositifs tactiques, de convoquer un nombre incalculable de joueurs et de s’adapter au style des hommes qu’il appelle pour porter la tunique portugaise. Mais justement, à trop vouloir tenter, changer, Fernando Santos semble se perdre petit à petit. Aucune équipe type ne se dégage. Beaucoup trop de changements sont effectués, notamment au milieu de terrain. Il est constamment à la recherche de l’équilibre en tentant de jouer offensivement, mais pas trop. Ses compositions d’équipe en témoignent : des joueurs comme Cedric, ou plus récemment Semedo, sont préférés à Cancelo, visiblement trop offensif pour jouer au poste de latéral droit sous Fernando Santos.

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Mais surtout, à l’aube d’une génération dorée, pourra t-il s’adapter complètement et mettre cette nouvelle vague de jeunes joueurs au profils techniques dans les meilleures conditions, afin qu’ils puissent s’épanouir ? Difficile d’y croire. Bernardo Silva en est l’exemple type. Le gaucher rayonne en club sous les ordres de Guardiola, mais peine à confirmer sous les couleurs du Portugal. Fernando Santos ne semble pas avoir trouvé la solution pour que le meneur de jeu portugais puisse s’exprimer pleinement. À droite dans un 4-3-3 ou dans un 4-4-2 à plat, en 10 dans un 4 – 4 – 2 losange, rien n’y fait. Santos n’arrive pas à sublimer son joyau. Le talentueux joueur de Manchester City, nommé meilleur joueur de la Ligue des Nations se doit de prendre les commandes du secteur offensif, d’accepter ce nouveau statut et de limiter la fameuse Ronaldo dépendance, mais avec un sélectionneur dont les intentions de jeu sont si pragmatiques, cela semble impossible. Sans parler de la mine d’or qui tend aux bras de Fernando Santos pour préparer l’avenir, avec la fameuse « génération 99 », portée par João Felix, Gedson Fernandes, ou Florentino Luis. Avec un tel vivier de « cracks », le Portugal ne pourra plus se contenter du minimum.

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Oui, Fernando Santos aura écrit l’histoire et sera une légende du football portugais à tout jamais grâce à ces deux trophées internationaux en trois ans. Mais dans un pays où l’intransigeance et l’amour pour le jeu dispose d’une place importante dans les cœurs, et, surtout, à l’arrivée d’une génération dorée, le football défensif n’est pas le bienvenu. Même si Fernando Santos tente de se régénérer, des choix cornéliens s’imposent au sein des plus hautes instances du football portugais : celui de la facilité en continuant avec Fernando Santos, ou, celui d’apporter de la fraîcheur en démarrant un nouveau cycle avec un homme prônant un football plus offensif. Quoi qu’il en soit, ce choix sera déterminant pour l’avenir du football portugais…

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Emerson Martins