Recruteur des binationaux franco-portugais au sein de la Fédération Portugaise de Football, Oliver Feliz a eu la gentillesse de répondre à nos questions sur sa fonction. Une exclusivité Trivela.
Bonjour Olivier. Merci de nous accorder de ton temps pour répondre à nos quelques questions sur ta fonction de recruteur des binationaux franco-portugais au sein de la Fédération Portugaise de Football. Tout d’abord, peux-tu nous présenter ton parcours ?
J’ai démarré comme dirigeant à l’ACBB, à Boulogne-Billancourt, qui est connu pour être un grand club formateur, ou sont notamment passés des joueurs comme Hatem Ben Arfa ou plus récemment Myziane Maolida. Ensuite, j’ai travaillé au FC Porto durant la période d’Antero Henrique, qui vient d’un village voisin au mien, dans le Nord du Portugal. A cette époque, je travaillais surtout sur les bases de données, je transmettais des informations au club sur les joueurs de la région parisienne et des championnats français. C’est d’ailleurs comme ça qu’on a pu faire venir des joueurs comme Yacine Brahimi ou Willy Boly. Après, quand Antero et son équipe sont venus à Paris, ils ont fait appel à moi et je suis devenu salarié du PSG pendant deux ans. Je travaille désormais en tant que Responsable du Département Scouting France au Vitoria SC, sous la direction de Carlos Freitas, qui a notamment vu passer les Ronaldo, les Quaresma, les Moutinho… lorsqu’il travaillait au Sporting.
Une carrière bien remplie, donc. Et en parallèle de ces activités, tu travailles, depuis tout ce temps, pour la Fédération Portugaise de Football ?
C’est exact. Pendant ce temps-là, j’ai toujours travaillé avec la Fédération Portugaise de Football. J’ai commencé à travailler sur les binationaux, à aller les suivre dans les clubs amateurs dès l’âge de 15 ans. Au départ c’était un gros boulot, j’étais tout seul, et il fallait savoir où les jeunes joueurs jouaient. Maintenant j’ai un réseau d’informateurs dans les clubs, donc quand les jeunes nous intéressent, on va les voir, les superviser… Mais on ne les aborde jamais dès la première fois. C’est qu’après un certain temps qu’on prend contact avec les familles.
« En sélection, on n’est pas en train de faire du business »
Comment tu procèdes pour contacter un joueur qui t’intéresse pour rejoindre les équipes jeunes du Portugal ?
Nous, on contacte avant tout les familles et les clubs, si possible, sans que le joueur le sache. Parce que souvent, quand un jeune joueur sait qu’il va être sélectionné le mois suivant, il n’a plus le même rendement. On veut qu’il apprenne sa convocation le plus tard possible, des fois, c’est seulement 8 jours avant le début du stage. Certains jeunes joueurs ont la maturité pour continuer à travailler sérieusement après avoir appris leur convocation en sélection, mais d’autres vont être perturbés, certains vont même avoir peur de se blesser. D’ailleurs, c’est souvent dans ces moments-là qu’ils se blessent. Nous, on veut qu’ils soient performants en club, alors on fait tout pour ne pas perturber leur quotidien.
Tu contacte donc les familles plutôt que les agents ?
On ne rentre jamais en contact avec les agents. Quand je recrute pour Guimarães oui, mais pour la Seleção, jamais. J’ai des agents qui m’appellent et qui me reprochent de ne pas les avoir contacté avant d’avoir appelé la famille de leur joueur. Ce qu’ils ne comprennent pas c’est qu’en sélection, on n’est pas en train de faire du business. Et puis, si on commence à parler aux agents, on sait qu’ils ne vont pas nous lâcher, et qu’on va recevoir des appels tous les jours du genre « Salut Olivier, tu penses que mon joueur sera de nouveau convoqué la prochaine fois ? » Ce n’est pas l’idéal pour travailler sereinement.
« Leur rêve, c’est de représenter le Portugal »
C’est toi qui propose les profils à la Fédération Portugaise ou c’est la Fédération Portugaise qui cible des profils bien précis en fonction des besoins ?
Ça arrive que ça soit eux qui me demandent des choses précises, mais c’est rare. Ma mission, dans un premier temps, est de répertorier les jeunes joueurs d’origines portugaises qui jouent dans des clubs français ou qui font partie des sélections régionales françaises. Après, nous, à la différence de la France où ça commence un peu plus tard, on fait venir les jeunes joueurs en stage au Portugal dès les U15. Même s’ils jouent dans des clubs amateurs, on les fait venir, comme ça on les voit, on se fait une première idée. Après, si on tombe sur des joueurs de 16 ou 17 ans qui ne sont jamais venus en sélection, on ne leur ferme pas la porte pour autant. On reste attentif, il peut y avoir un diamant brut qui traine, et il y a aussi des jeunes joueurs qui explosent un peu plus tard.
L’idée, c’est aussi d’aller chercher des joueurs formés « à la française » pour apporter de la complémentarité aux joueurs portugais ?
Bien sûr, si on trouve un Paul Pogba on ne va pas se gêner (rires). Plus sérieusement, en réalité, ils ont une ligne de conduite au Portugal, ils aiment les joueurs techniques, explosifs et bons tactiquement. Tous les profils ne leurs conviennent pas. Par exemple, sur les ailes, ils aiment que ça aille vite.
Et en général, quand ils sont contactés très jeunes, les binationaux penchent plutôt pour la France ou pour le Portugal ?
Il y a 95% qui te disent « moi, c’est la Seleção ». Quand tu les abordes, ils te disent généralement que leur rêve, c’est de représenter le Portugal. Après, ça dépend de chacun, quand ils ont un parent portugais et un parent français, ils sont souvent entre les deux, c’est normal. Mais quand ils ont leurs deux parents portugais, c’est quand même très rare qu’ils choisissent la France. Ils sont nés devant la Sport TV, les Benfica – Porto, la Seleção… Quand tu vois ton papa qui regarde Benfica, Porto, Sporting, tu penches pour ça toi aussi, c’est naturel. L’inverse peut arriver, mais c’est rare.
Est-ce qu’on peut aussi parler d’un « effet Cristiano Ronaldo », qui renforce l’envie de ces binationaux de représenter le Portugal ?
Je pense que ça a commencé avec la fameuse génération des Rui Costa / Luis Figo. Mais évidemment, quand on parle de Seleção, tout le monde pense à Cristiano Ronaldo. Cette génération-là a grandi avec l’image de CR7, de la Seleção championne d’Europe. Forcément, ça aide. Les jeunes choisissent plus facilement la Seleção, c’est évident.
Après, il y a aussi eu un travail de fait au sein de la Fédération Portugaise. On veut que la communauté portugaise sache que la Fédération s’intéresse aux binationaux. Il fut un temps, à l’époque de Corentin Martins, il y avait toujours cette réflexion des binationaux qui se sentaient oubliés par le Portugal. Certains avaient peur que ça soit mal vu au Portugal, notamment dans la presse, que des jeunes joueurs nés à l’étranger viennent prendre la place des jeunes portugais. C’est moins le cas aujourd’hui, ils ont compris que les binationaux étaient une force pour l’équipe.
« Quand ils choisissent la France, on ne va pas chercher à les piquer »
Tu as des exemples de binationaux qui ont choisi le Portugal en ayant qu’un seul parent portugais ?
Bien-sûr, il y a le jeune gardien de but du FC Nantes, Valentino Lesieur. Un jour je suis allé voir un match U17 nationaux entre Rouen et Sannois Saint-Gratien. Il y avait un petit numéro 8 à Sannois Saint-Gratien qui me plaisait beaucoup, j’avais été le superviser ce jour-là. En début de match, mon ami Philippe Casagrande, recruteur du FC Nantes en région parisienne, s’est installé à côté de moi et m’a parlé du gardien de Rouen, qui avait déjà un accord pour rejoindre les Canaris. Il avait 14 ans, était surclassé, et faisait déjà 1m90. « Valentino Lesieur« . Valentino, pour moi, c’était Italien. Lesieur, c’était Français. Il a particulièrement attiré mon attention parce qu’il avait été très bon ce jour-là. A la fin du match, je vais voir la famille du numéro 8 de Sannois SG, en leur disant que le jeune milieu de terrain était passé à côté de son match, ce qui peut arriver à tout le monde, et que je reviendrais une autre fois pour l’observer de nouveau. Et à ce moment-là, Philippe Casagrande m’appelle et me dit « Eh, Olivier, le gardien Valentino, il est Portugais ! » Je lui ai répondu « écoute, je l’embarque tout de suite ». En fait, le père de Valentino est Français, et sa mère Portugaise. Ce jour-là, je n’ai même pas fait de rapport, j’ai directement appelé mon coordinateur Joaquim Milheiro, en lui disant : « J’ai un de ces bestiaux ici, c’est un monstre ». Et quand je suis allé voir le papa de Valentino, il m’a dit tout de suite, « mon fils, son rêve, c’est la Seleção ». Après, j’ai abordé le gamin en lui demandant s’il voulait jouer avec le Portugal ou la France et il m’a dit : « Moi la France não, le Portugal sim ». Ok, on y va. Au Portugal, quand ils l’ont vu débarquer, ils ont dit « P*tain, c’est quoi ce monstre ? D’où vient ce gamin ? », c’était impressionnant. Il est arrivé en Seleção à 15 ans et aujourd’hui, à 17 ans, il est toujours sélectionné. C’est un très, très bon gardien.
Et d’autres Français d’origine portugaise, qui font le choix de l’Equipe de France ?
Il y en a très peu, mais oui, il y en a. C’est par exemple le cas de Lucas Da Cunha, aujourd’hui à Nice, qu’on surveillait, tout comme Mathieu Gonçalves qui est prêté au Mans par Toulouse. Quand ils choisissent la France, on ne va pas chercher à les piquer.
Quel est le regard que porte la Fédération Française de Football sur ces convocations de bi-nationaux ?
Je vais prendre en exemple un joueur comme Victor Lebas, qui joue actuellement à Ajaccio. Quand on l’a convoqué en Seleção, il n’avait jamais été appelé en Equipe de France, bien qu’il soit connu de la Fédération. Mais dès qu’on a appelé le gamin en Seleção, la Fédération Française l’a contacté tout de suite derrière. On a aussi eu un cas similaire avec Marco Torres, de Nancy, par exemple.
Et ce genre de situation ne dérange pas la Fédération Portugaise ?
Non, parce que ça ne nous dérange pas que des joueurs partent jouer en U17 avec la France après avoir été appelé au Portugal en U16. Au contraire, ça leur fait des matchs dans les jambes, ils prennent de l’expérience en jouant avec la France, c’est une bonne chose pour leur progression. Après, à un moment donné, il faut qu’ils fassent leur choix.
« C’est une famille la Seleção, c’est ça qui est fantastique »
Comment sont reçus les jeunes bi-nationaux lorsqu’ils sont appelés en Seleção ?
Très bien. Les mentalités ont évoluées, ce n’est plus pareil qu’il y a quinze ans. Aujourd’hui, le jeune français d’origine portugaise est très bien reçu. C’est une famille la Seleção, c’est ça qui est fantastique. Un excellent travail est fait pour faciliter leur intégration ces dernières années. Par exemple, s’il y a quatre français dans la génération U16, tout est fait pour qu’ils ne restent pas qu’entre eux et s’adaptent au reste du groupe. S’ils sont dans des chambres doubles, on préfère mettre nos binationaux avec des Portugais. Dans le staff aussi, il y a cette volonté de les mettre à l’aise.
Quand ils sont en sélection, en générale, ils n’ont plus aucune envie de revenir en France. Sur les entraînements, les façons de travailler… les gamins ont tous envie de rester jouer au Portugal. A chaque fois ils disent « au Portugal ça balance pas », « ça joue », « le ballon est toujours au sol », « ça essaie de repartir de derrière »… Et puis les coachs les mettent en confiance. Quand tu vois Pedro Brazão, qui joue à Nice, dès qu’il revient de la Seleção il est encore plus performant qu’avant. C’est dingue.
Et la barrière de la langue ?
Ca dépend des catégories, mais tu as toujours un entraîneur ou un dirigeant qui parle bien français. Et puis généralement, les parents de ces jeunes joueurs les mettent toujours au portugais. C’est souvent un peu plus difficile pour ceux qui ne parlent pas la langue mais en général, ils arrivent à comprendre. Au début, c’est pas l’idéal, mais quand t’es bien accueilli, c’est déjà plus simple. Lors des stages, les dirigeants les poussent à parler le portugais et à les faire communiquer entre eux.
« Guerreiro ? A 14 ans, il savait déjà ce qu’il voulait »
Les deux champions d’Europe Raphael Guerreiro, qui est devenu titulaire indiscutable en A, et Anthony Lopes, font eux aussi parti de ces binationaux. Que peux-tu nous dire sur ces deux joueurs, que tu as suivi alors qu’ils étaient tout jeunes ?
Raphaël Guerreiro, on l’avait repéré tout jeune. A l’époque, on savait déjà qu’il irait très loin. Il était mature. A l’âge de 14 ans, il avait déjà le cerveau d’un mec de 30 ans. Il savait déjà ce qu’il voulait, ce gamin. Anthony Lopes c’est pareil, on savait déjà qu’il allait aller loin. Je le suivais beaucoup quand il était en CFA avec l’OL, j’envoyais des rapports au coordinateur de l’époque qui était Rui Caçador, c’est lui qui a ensuite pris contact avec la famille du joueur. Il a toujours eu un gros potentiel et cette mentalité de gagneur.
Il y a eu des succès, mais aussi des joueurs au parcours moins brillants. Il y a quelques années, le jeune attaquant franco-portugais Mickael Almeida, aujourd’hui au FC Chiasso en D2 suisse, suscitait beaucoup d’espoirs. Tu lui avais permis de découvrir la Seleção U17, avec qui il avait été champion d’Europe. Peux-tu nous raconter ce qu’il s’est passé ?
A l’époque, il jouait à l’OL. L’année avant que Mickael Almeida débarque en Seleção U17, j’ai appelé son papa en lui disant : « votre fils, on va le sélectionner, c’est le profil qu’il nous faut, il va être champion d’Europe avec nous », et il l’a été. A cette époque-là, il était sollicité par Benfica qui lui proposait un joli contrat de 3 ans + 2 en bonus. Il n’a pas voulu y aller, il a voulu rester une année supplémentaire à Lyon, et après ça, il s’est un peu perdu en Suisse. Etre champion d’Europe en U17 c’est bien, mais ça ne veut pas dire grand-chose, ce n’est pas parce que tu es champion d’Europe U17 que tu vas forcément devenir footballeur professionnel.
Il y a t-il des jeunes binationaux qui devraient, selon toi, être amenés à représenter un jour la Seleção A ?
Il y en a plusieurs qui ont le potentiel pour y arriver. C’est le cas du tout jeune Jordan Monteiro, par exemple, qui joue latéral gauche et qui est arrivé au PSG cette année en provenance de Metz. Pour moi, si ce gamin continue sur sa lancée, il peut suivre les traces de Raphael Guerreiro. Il va aller loin, il ne s’est jamais mal comporté avec la Seleção, c’est un exemple, et sur le terrain, c’est un vrai pitbull. S’il prend un coup, je peux te garantir qu’il va en mettre quatre au mec derrière. Un animal (rires). Il a une explosivité… C’est brutal. Jordan est très fort en un contre un, il monte, il descend, et surtout, il réfléchit très vite.
Il y en a beaucoup qui seront bientôt capables d’aider la Seleção comme l’ont fait Raphael Guerreiro et Anthony Lopes. On a une bonne relève, ça va faire du bien. Ça prouve aussi qu’il y a un gros boulot qui a été fait de notre part, ça a mis du temps, mais là, maintenant, c’est lancé.
Cet entretien a été co-réalisé par Alexandre Ribeiro et Ilan Coupet.
Crédit photo : IconSport
Alexandre Ribeiro a lancé le site Trivela.fr en 2019 et le dirige aujourd’hui aux côtés de ses collaborateurs. Passionné par le football portugais dans son ensemble, et notamment par l’équipe nationale portugaise, c’est avec toute son énergie et son implication qu’il fait vivre ce média de façon quotidienne.
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