Entretien – Vincent Sasso : « Le championnat portugais m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui »

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Actuellement en Suisse sous le maillot grenat du Servette FC, Vincent Sasso est revenu, pour Trivela, sur ses cinq saisons passées au Portugal. Entraîneurs, adversaires, coéquipiers et football portugais, il nous a tout raconté.

Bonjour Vincent ! Tout d’abord un grand merci pour le temps que tu nous accordes. En parlant de temps, comment occupes-tu le tien en cette période de semi-confinement ?

On a un programme à suivre tous les jours et le club nous a fourni des montres pour qu’on puisse observer notre fréquence cardiaque, notre vitesse etc… C’est déjà une occupation qui me prend un peu temps. A part ça, comme tout le monde je pense, je regarde des séries, je fais un peu de lecture. J’ai la chance d’avoir un petit jardin pour pouvoir me poser dehors.

Revenons un peu sur ta carrière, tu as été formé en France du côté de Nantes, mais tu as rejoint le championnat portugais assez jeune, du côté de Beira-Mar. Comment ça s’est fait ? Et comment s’est passée cette transition entre les deux championnats ?

J’étais en fin de contrat à Nantes et je réalisais ma première véritable saison avec les professionnels. La saison se passait bien, je prolonge et à la fin de celle-ci, Michel Der Zakarian reprend l’équipe première et me fait comprendre que je ne ferai pas parti des premiers choix. Avec mon entourage on s’est donc dit qu’il fallait trouver un autre projet sportif intéressant. On n’avait rien de très concret sur la table, puis l’option Beira-Mar est arrivée grâce à mon agent (ndlr : Ulisses Santos). C’était un gros challenge pour moi car je ne connaissais rien du Portugal à part les grosses écuries, mais j’avais envie d’essayer et j’ai accepté. Après, la transition s’est faite facilement et les présences de Cedric Collet et David Fleurival dans l’effectif m’ont aussi beaucoup aidés. Sportivement, c’est pareil, je me suis vite intégré, le groupe était bon et en plus la ville était sympa.

Tu arrives donc au Portugal et tu joues énormément. Raconte nous tes premiers pas dans le championnat portugais.

C’est vrai que j’ai tout de suite eu la chance d’avoir la confiance du coach. En plus je jouais derrière avec le capitaine, un joueur d’expérience. C’est assez paradoxal parce que ça se passait super bien mais lors du premier match, on mène 3 à 0, à 25 minutes de la fin et à 11 contre 10 face à l’Académica de Coimbra et à ils reviennent à 3 partout, score final. Ce match m’a un peu terrorisé pour les semaines à venir (rires) car ça aurait été bien de pouvoir commencer avec une belle victoire. Mais les débuts se sont vraiment bien passés individuellement.

« Une période difficile … »

A la mi-saison, tu montes un peu plus au nord et tu signes à Braga, qu’est-ce qui a motivé ce changement soudain ?

Comme j’ai signé gratuitement à Beira-Mar, un potentiel transfert pouvait être intéressant pour eux et ça faisait aussi parti du deal. Si jamais une offre d’un autre club pouvait être intéressante pour moi et le club, ils me laisseraient partir. Mais au début je ne voulais pas partir, je voulais faire une saison complète car je venais d’arriver. Mais voilà, la philosophie de Braga me rappelait beaucoup celle de Nantes et c’était le seul club, hormis les trois grands, qui pouvait me faire changer d’avis. Au début, j’ai failli signer en Russie, à Krasnodar, mais au dernier moment mon agent m’a dit qu’un contrat avec Braga était sur la table et que le club me voulait.

A Braga, tu connais un début quasiment similaire à celui que tu as vécu avec Beira-Mar puis tu te blesses. Comment tu vis ce passage d’un extrême à l’autre ?

Très difficilement. Comme tout athlète, ce sont des moments très difficiles et pour moi c’était ma vraie première très grosse blessure. Une déchirure aducteur-abdo, ça a duré plusieurs mois. C’était évidemment une période difficile mais c’est là que tu apprends ton métier d’une manière différente, avec les soins, les traitements, la rééducation etc… Ce n’était pas évident.

Malgré tout, tu ne baisses pas les bras, mais la saison suivante est quasiment similaire. A partir de là est-ce que tu envisages un départ ?

Oui et non à vrai dire. A ce moment-là, le plus important pour moi c’était d’être en bonne santé, puis par la suite c’est de pouvoir jouer et me montrer. Et à Braga, au niveau du staff médical c’était le top, on avait tout. Pour moi le plus important était de pouvoir me remettre à 100% et de montrer au coach que je pouvais apporter à l’équipe. A ce moment-là je ne pensais pas à un départ.

« Conceição, c’était beaucoup plus strict »

Tu passes 2 saisons et demi à Braga. Là-bas, tu croises notamment Conceição, Jesualdo et Peseiro comme entraîneurs. Comment étaient-ils au quotidien ?

Les trois m’ont beaucoup apporté et tous de manière différente. Peseiro était mon premier coach à Braga, il m’a beaucoup appris et son adjoint Fernando Couto aussi, surtout par rapport à mon poste. Jesualdo c’était différent, c’était beaucoup de théories et de tactiques tandis que Conceição c’était beaucoup plus strict. Les trois m’ont beaucoup apporté à leur façon et les trois étaient vraiment des bons coachs.

Après deux saisons à Braga, tu t’envoles du côté de Sheffield Wednesday, en prêt dans un premier temps, puis de manière définitive la saison d’après. Tout change pour toi. C’était le bon choix ?

A ce moment, dans mon état d’esprit oui ça l’était. Braga changeait à nouveau de coach, je revenais de blessure et la concurrence était rude. De l’autre côté, il y avait Carvalhal qui comptait sur moi et évidemment, c’est toujours important pour un joueur de foot d’avoir un coach qui te veut, qui te fait confiance et qui te donne du temps de jeu. Est-ce que c’était la bonne décision ? Je ne sais pas, la philosophie de Fonseca se rapprochait de la mienne mais dans la vie on fait des choix et bien sûr je ne regrette pas celui-là car ça s’est très bien passé à Sheffield. C’était aussi un rêve de jouer en Angleterre.

En Championship, tu fais la rencontre des deux entraineurs : Carlos Carvalhal et son assistant Bruno Lage. C’était une chance d’avoir les deux ?

Au début, c’est clair que je ne savais que Bruno Lage serait entraîneur de Benfica et qu’il réussisse si bien (rires). Mais dès le début on sentait que les deux entraîneurs connaissaient leur sujet, qu’ils savaient de quoi ils parlaient. On avait beaucoup de séances avec coach Carvalhal et il donnait aussi beaucoup de liberté à Bruno Lage au niveau des entraînements. Sportivement et humainement, ça a été une superbe expérience.

Les entraîneurs portugais ont bonne réputation. Pour en avoir côtoyé plusieurs, qu’est-ce qui les caractérise et fait qu’ils réussissent ?

C’est un peu dur de répondre parce que j’ai l’impression que des coachs portugais, je n’ai eu que ça (rires) ! De manière générale, on a vu qu’ils étaient à la mode avec Mourinho et VillasBoas mais si on regarde de plus près, actuellement, les entraîneurs portugais sont un peu partout et ils réussissent ! Donc ça prouve qu’ils sont talentueux, quand on regarde Nuno chez les Wolves, Amorim qui quitte Braga pour Sporting, Luis Castro etc… L’école portugaise est vraiment bonne. Pour ceux que j’ai eu, c’était très axé sur le jeu, ils demandaient beaucoup de travail et je ne peux en dire que du bien.

« Même aujourd’hui, je ne comprends pas tout »

Tu passes deux saisons en Angleterre puis tu retournes au Portugal, mais cette fois du côté du Belenenses. Comment appréhendes-tu ton transfert au moment de la signature ?

Revenir au Portugal c’était clairement quelque chose que je voulais. Même si ça allait bien en Angleterre, je voulais davantage de temps jeu, être titulaire et faire une saison complète. Le transfert s’est fait assez facilement et rapidement notamment grâce à Hugo Viana qui était le directeur sportif à ce moment-là.

Ta première saison à Belenenses paraît satisfaisante

Oui, elle commence très bien même. Mais malheureusement, je traîne des douleurs aux adducteurs que je ne comprenais pas car j’ai toujours fait attention à mon corps, surtout après ma blessure à Braga. Mais voilà, ils m’ont décelé une hernie inguinale et j’ai dû être opéré en novembre. Malgré cela, je me suis vite remis et j’ai vite retrouvé les terrains et du temps de jeu.

C’était un second souffle pour toi ?

Oui et non à vrai dire. Parce que même si je finis la saison, ça a quand même été compliqué, rien qu’avec l’opération. Et puis sportivement, on ne réalise pas une si bonne saison que ça. Et quand je reviens, je ne suis pas forcément titulaire de nouveau car il y a une équipe en place et c’est plus difficile pour un défenseur d’avoir du temps de jeu. Je dirais que le second souffle s’est fait lors de ma deuxième saison avec l’arrivée de Silas. Là, j’ai recommencé à me considérer comme un vrai joueur de foot.

Après une première saison encourageante, se passe une un tournant dans l’histoire du club. Le club fondateur et la SAD se séparent. Comment tu as vécu ce moment ?

Vivre cet événement, ça a été dur. D’autant plus quand tu es un joueur étranger et que tu ne comprends qu’à moitié le fonctionnement. Je me souviens qu’on revient l’été d’après, on nous annonce qu’on ne va plus jouer au Restelo, et au milieu de la saison on reçoit l’information qu’on ne peut plus jouer avec le logo. J’étais là « mais c’est quoi cette histoire ? »

C’est un événement qui t’a marqué ?

Oui bien sûr, parce que même aujourd’hui je ne comprends pas encore tout. Les deux parties ont des torts, oui, mais ce qui a été dur c’était de voir la majorité des supporters rester avec le club fondateur, ce que j’ai vite compris. Après tu essaies de faire abstraction de tout cela, mais ce n’était pas facile, vraiment pas facile.

Après cet épisode historiquement triste, Belenenses réalise une bonne saison et tu y joues un rôle prépondérant.

Oui c’est sûr, en janvier, on est bien classé, pas loin du top 5. On joue bien, on a une des meilleures défenses du championnat et je pense que sans ces problèmes internes et certains départs, on avait les capacités pour finir dans les cinq premiers.

C’est ta saison référence selon toi ?

Oui c’est clairement ma meilleure saison au niveau personnel, j’étais vraiment très épanoui. Et puis c’est comme tout, quand tout va bien dans ta vie, ça se ressent dans ton travail et chez moi ça voyait sur le terrain.

« Le championnat portugais est un très bon tremplin quand on est plus jeune. »

Après plusieurs saisons passées au Portugal, quel est bilan personnel que tu traces ?

Comme pour tout joueur, il y a eu des hauts et des bas. Mais j’ai été très fier et heureux de pouvoir jouer au Portugal et de représenter des clubs historiques comme Braga et Belenenses notamment. L’expérience était vraiment belle, j’y ai fait des superbes rencontres, eu des expériences incroyables. C’est grâce au championnat portugais que je suis devenu la personne que je suis aujourd’hui.

Si tu devais décrire le championnat portugais à quelqu’un qui le connait très peu. Comment le décrirais-tu ?

C’est un championnat où les équipes cherchent à jouer un maximum. Très peu d’équipes restent à 11 derrière. Après, c’est sûr que ça arrive plus fréquemment quand tu joues contre Benfica, Porto, Sporting ou Braga parce que l’objectif, c’est de pas en prendre 4 en un quart d’heure (rires). C’est un championnat qui est très plaisant à regarder et qui n’est pas assez médiatisé à mon sens. Et puis on l’a vu, le championnat portugais est un très bon tremplin quand on est plus jeune.

Ces derniers mois, on sent que Braga est peut-être rentré dans une nouvelle dimension. Suis-tu encore le club ? Est-ce que cette ascension te surprend ?

Je suis encore le club et il y a encore des gens que je côtoie là-bas et non, je ne suis pas du tout étonné parce que le club est dans cette direction depuis des années. C’était une question de temps avant que Braga puisse s’affirmer comme un grand du Portugal et regarder les trois autres grands dans les yeux. Avec les infrastructures, la formation et un président très intelligent, ils ont vraiment tout pour continuer à gravir les échelons.

Tu mentionnes la formation. De ce que tu as pu constater, c’est un point de plus en plus important au Portugal ?

Totalement ! Ils y travaillent depuis plusieurs années et quand on regarde les équipes de jeunes au Portugal, il y a beaucoup de très, très bons joueurs. Certains partent très jeunes comme Trincão ou encore Pedro Neto ou Vinagre, ces exemples parmi tant d’autres.

Avec des montants de plus en plus exorbitants dans le monde football et de plus en plus inaccessibles pour les clubs portugais, la formation s’apparente comme la solution pour rivaliser en Europe. Qu’en penses-tu ?

Exactement, c’est à mon avis LA solution et leur solution. Même si Porto et Benfica sont de très grands clubs, ça n’a jamais été dans leur philosophie de débourser des grosses sommes pour des gros joueurs comme le PSG ou comme le Barça qui vont chercher des tops joueurs. Pour moi, ils pourront toujours rivaliser et la formation est là pour ça,

« L’attaquant le plus impressionnant, c’était Jackson à l’époque »

Questions un peu moins techniques maintenant. Quel joueur, coéquipier ou adversaire, t’as le plus marqué durant ton passage au Portugal ?

Olala (rires). Il y en a tellement ! C’est vraiment difficile… Avec qui j’ai joué, je dirai sans doute Alan, Rafa Silva et Hugo Viana qui étaient les piliers quand je suis arrivé. Au niveau des adversaires, je dirais Raul Jimenez, et Jackson Martinez à l’époque de Porto, c’était un beau bébé. Et je dirais aussi James Rodriguez et João Félix.

Tu montres beaucoup d’enthousiasme au moment de citer le nom de James Rodriguez, une anecdote particulière avec lui ?

Particulière non, mais je me rappelle d’un déplacement au Dragão où je jouais en 6 et lui en 10 et… il était juste incroyablement fort.

Et pour João Félix ?

João Félix c’était lors de ma dernière saison à Belenenses, où il commençait à exploser. Avec l’équipe on regardait des vidéos de lui et tout nous impressionnait : ses déplacements, sa technique, son comportement face au but … Et au moment de jouer contre lui, je n’avais pas cette idée-là, mais il était vraiment très, très rapide

Un entraîneur qui t’a marqué ?

C’est difficile… Je dirais Silas et Conceição.

L’attaquant le plus coriace que tu as affronté au Portugal ?

Comme avant, j’en retiens plusieurs (rires). Il y a et Bas Dost, Jackson Martinez, Raul Jimenez, Jonas mais sincèrement, le plus impressionnait c’était Jackson à l’époque. C’était vraiment impressionnant.

L’équipe la plus redoutable que tu as affronté lors de ton passage au Portugal ?

Je dirais le Benfica à l’époque de Jorge Jesus.

Raconte nous ton meilleur souvenir au Portugal.

Il y a en deux. D’abord, je retiens la Coupe de la Ligue avec Braga, c’est clairement l’un de mes meilleurs souvenirs. Mais aussi la deuxième saison à Belenenses durant laquelle j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir sur le terrain.

A l’inverse, ton souvenir le plus douloureux ?

Sans doute la finale de la Coupe du Portugal qu’on perd face au Sporting en 2015. On menait 2-0 et ils étaient à 10 la quasi totalité du match, la défaite aux tirs au but a fait mal, c’est vrai.

Ton but préféré ?

Je dirais mon tout premier en championnat quand j’arrive au Portugal. C’est déjà la symbolique du premier but, puis c’était contre Benfica, et même si on ne gagne pas, je me rappelle de l’ambiance et aussi que mon père était venu voir le match. C’était vraiment pas mal pour un premier but.

L’été dernier tu quittes Belenenses pour rejoindre le Servette FC. Comment se déroule cette première saison du côté de la Suisse ?

Vraiment très bien, on est 4e, on a la meilleure défense du championnat, je n’ai pas raté une seule minute. Mais au-delà de ça, le groupe est vraiment talentueux, c’est une superbe équipe et bien évidemment, j’ai hâte que ça reprenne.

Toute l’équipe Trivela tient à remercier chaudement Vincent Sasso pour le temps qu’il nous a accordé, ainsi que pour la pertinence de ses réponses.

Crédit photo : Facebook