Entretien – Thomas Parada : « Je sais ce que c’est que d’être au plus bas »

Parada

Arrivé au Moncarapachense (D3 portugaise) en novembre dernier après une première expérience compliquée au Portugal, le défenseur central franco-portugais Thomas Parada nous raconte son parcours atypique, durant lequel il a navigué entre les blessures, les désillusions et les sacrifices, sans jamais lâcher de vu ses objectifs qu’il est désormais prêt à atteindre.


Bonjour Thomas, merci de nous accorder de ton temps pour réaliser cet entretien. Tu joues aujourd’hui en D3 portugaise, au Moncarapachense, mais tu as effectué toute ta formation en France. Peux-tu revenir sur ton parcours ?

Je suis originaire de Drancy, j’ai fait toutes mes classes là-bas jusqu’en U15, puis j’ai rejoint Laval pour poursuivre ma formation. Je suis resté là-bas durant plusieurs saisons, durant lesquelles j’ai notamment participé à l’épopée jusqu’en demi-finale de Gambardella. J’ai ensuite intégré le groupe professionnel et j’ai même joué deux matchs de Ligue 2 en fin de saison. Après, j’ai été prêté six mois à Bastia-Borgo, et à la fin du prêt, Laval a décidé de ne pas me conserver. On était plusieurs jeunes dans mon cas, il y avait notamment Yvan Neyou, qui a joué à Braga et qui est aujourd’hui à l’AS Saint-Etienne.

Après ça, tu intègres l’UNFP, où s’entraînent d’autres joueurs sans club, le temps de trouver un nouveau projet…

C’est ça, j’ai intégré l’UNFP pour faire la préparation d’avant-saison et jouer des matchs amicaux contre des clubs professionnels. En janvier, j’ai signé en Allemagne, où un club de D3 était intéressé par mon profil et m’a envoyé temporairement dans un club de D5 pour faciliter mon adaptation. Là-bas, j’ai eu deux blessures, et j’ai donc dû rentrer en France plus tôt que prévu. Je ne comprenais pas vraiment ces blessures à répétition, ce n’était pas une question d’hygiène de vie ou quoi, j’avais vraiment le sentiment que le facteur chance n’était pas de mon côté. Je me suis ensuite arrêté pendant six mois afin de me concentrer sur ma rééducation et sur mon corps, pour me préparer pour la nouvelle saison.

« J’ai eu le sentiment d’avoir été jugé sur mon passé, plutôt que sur mes réelles performances »

Après ces six mois de préparation, tu as pu retrouver un projet ?

A l’été 2020 j’étais prêt, je cherchais un club, alors j’ai fait plusieurs tests en France. Je n’étais pas loin de m’engager avec des clubs de N2 comme GOAL FC (anciennement MDA Chasselay) ou Cannet-Roussillon. A chaque test, on me disait que j’étais intéressant, que j’étais celui qui leur fallait, mais à chaque fois, ça ne se faisait pas. Après ces échecs là je me suis posé des questions. J’ai eu l’impression qu’ils se disaient « OK, Thomas il est bon, il est revenu en forme, il a le niveau pour jouer avec nous, mais est-ce qu’investir sur lui peut être bénéfique pour nous sachant qu’il s’est déjà blessé ? »

Mentalement, comment as-tu vécu cette période ?

J’ai eu le sentiment d’avoir été jugé sur mon passé et sur le fait que je n’ai pas pu jouer pendant deux ans, plutôt que sur mes réelles performances. Après, je suis un battant. Ce n’était pas ça qui allait m’arrêter. J’ai connu plusieurs opérations, je sais ce que c’est que d’être au plus bas, de ne pas se sentir en confiance, de pas être jugé à sa juste valeur. Je me suis dit « tant pis, tu vas continuer à bosser et on verra bien ». A cette époque-là, je n’avais plus rien à perdre. J’ai envoyé des messages à plein de clubs,  et tant pis si je prenais des refus, mais je voulais au moins tenter ma chance. J’avais tout à gagner, je ne pouvais pas aller plus bas que là où j’étais.

Et après ces quelques échecs en France, tu décides de tenter l’aventure dans ton pays d’origine, le Portugal ?

Il y a un ami qui m’a donné le contact d’une personne qui vit à Olhao, dans le sud du Portugal, et qui connait du monde là-bas. Je suis aussi portugais, je comprends la langue, alors je me suis dit pourquoi pas. Je lui ai envoyé un message, il m’a dit qu’il allait discuter avec le club d’Olhanense, qui évolue en D3 portugaise. Une semaine après, ils voulaient me voir. En septembre 2020, je suis donc parti là-bas. Je devais faire une semaine d’essais, mais ils m’ont fait signer au bout de trois jours.

« A la fin du premier mois, je n’ai pas été payé »

A Olhao, tout ne se passe pas comme prévu ?

Je suis arrivé le lundi, j’ai signé le mercredi, et j’ai joué le dimanche. C’était un match de coupe. Physiquement je n’étais pas totalement prêt, mais je ne le montrais pas. Petite anecdote, on a perdu le match et j’ai pris un carton rouge très sévère (rires). A partir de là, j’ai senti que le président était plus froid avec moi. Je me disais que ce n’était pas si grave, qu’il y avait beaucoup d’autres joueurs qui avaient raté leurs débuts, ça arrive. J’ai continué à bosser, j’étais heureux d’avoir retrouvé un club.

Un premier match raté, le début des problèmes ?

Ça se passait bien avec les joueurs et avec les coachs, mais à la fin du premier mois je n’ai pas été payé. Quand je suis allé voir la direction, ils m’ont dit qu’en raison de mon carton rouge, pour lequel je n’ai été suspendu qu’un seul match, ils avaient dû prendre un autre joueur à ma place qui a aussi pris ma part du budget salarial.

Ils ont dit « soit tu restes avec nous et tu t’entraines tous les jours, et si le coach te fait rejouer on va te payer, soit tu pars ». J’ai pesé le pour et le contre, je suis resté un mois de plus, mais mentalement c’était compliqué. Tu t’entraînes tous les jours en te disant « Comment je vais payer ci ? Comment je vais payer ça ? » J’avais un peu de sous que j’avais mis de côté, mais je n’étais pas bien dans ma tête, j’étais perturbé.

C’est suite à cela que tu quittes le club au bout de deux mois, pour rejoindre le voisin, le Moncarapachense ?

C’est ça. A ce moment-là, j’ai été contacté par Moncarapachense. C’est un petit club, situé à 15 minutes d’Olhao, qui joue dans la même division et dans la même poule qu’Olhanense, mais qui n’a pas les mêmes ambitions. C’est un club qui vient de monter en D3 et qui a connu ce niveau que deux fois dans son histoire.

J’ai fait un test là-bas, ils ont vu que j’avais le niveau, alors ils m’ont fait signer un contrat. Petit problème : quand tu arrives au Portugal, tu as un certificat international à payer. C’est quelque chose que tu paies une fois et après tu peux jouer à vie là-bas. C’est un montant de 2 300€, si je me souviens bien. En général c’est soit le club, soit les agents qui paient. Moi, je n’avais pas d’agent, et mon club n’avait pas vraiment les moyens. J’ai donc dû sortir cet argent de ma poche. C’était un sacrifice, et j’espérais que cela porte ses fruits.

Du coup, en novembre, je signe là-bas. Depuis, j’ai joué onze matchs officiels, durant lesquels on a toujours pas perdu. D’ailleurs, pour l’anecdote, j’ai eu ma petite vengeance personnelle parce qu’on a battu Olhanense en championnat. On est actuellement 5e sur 12, il nous faut au moins un match nul à domicile lors du dernier match, le 10 avril prochain, pour accéder aux phases finales de la division. Pour le club, c’est une saison historique. Si on accède aux phases finales, ça serait incroyable. En plus, si on reste cinquième, on devrait affronter le Sporting B au match suivant. C’est bien pour le club, mais c’est aussi super pour nous, les joueurs, parce que ce match sera diffusé à la télévision et il y a beaucoup de recruteurs qui suivent les équipes réserves des clubs professionnels. C’est aussi le moment de montrer ses qualités.

« Sans les blessures, je n’aurais pas été le joueur que je suis aujourd’hui »

En parlant de qualités, comment tu pourrais décrire le joueur que tu es aujourd’hui, à 25 ans ? Quelles sont tes forces, tes faiblesses ?

Ma force principale, c’est le leadership. J’adore être le patron de la défense, je donne beaucoup d’indications, je parle beaucoup sur le terrain. J’ai une grande gueule, et ça depuis petit (rires). J’aime aussi jouer au ballon, si je peux casser des lignes par une passe, je n’hésite pas. Je suis également très à l’aise dans le duel aérien. Je suis grand, alors j’en profite. Avec le temps, j’ai appris à jouer sur mes qualités et à éviter de me retrouver dans des situations que je n’aime pas forcément. Par exemple, je sais que je ne suis pas le plus rapide, alors j’anticipe et je fais en sorte d’éviter d’avoir à jouer des longs ballons dans mon dos.

 

Est-ce que tu penses que le passé que tu as eu, avec son lot de blessures et de déceptions, a eu un rôle sur le joueur que tu es devenu aujourd’hui ?

Mes blessures m’ont permis de découvrir de nouvelles choses sur moi-même. Des choses auxquelles je ne faisais pas forcément attention avant. Dans la vie de tous les jours, que ça soit mentalement ou physiquement, ça m’a été d’une grande aide. Désormais, je sais ce que j’ai besoin de faire avant et après un entraînement, pour récupérer et être le plus performant possible. Je connais mieux mon corps. Grâce à mes blessures, je me sens plus fort. Je suis devenu un autre homme, j’ai gagné en maturité. Sans les blessures, je n’aurais pas été le joueur que je suis aujourd’hui.

« Moi aussi, j’aimerais me créer ma petite histoire »

Tu joues donc en D3 portugaise, c’est un championnat particulier, avec un format assez spécial (8 poules de 10 à 12 équipes), qui va d’ailleurs changer dès la saison prochaine. Quel regard portes-tu sur ce championnat ?

Le championnat de D3, il est vraiment particulier. Tu peux jouer à la fois contre des bonnes équipes et aussi contre des équipes bien moins fortes. Dans notre poule, il y a des équipes au-dessus du lot, comme Setubal, qui vient de Liga NOS avec un gros budget et quelques bons joueurs. Il y a aussi Amora, qui est actuellement deuxième. Louletano aussi a du budget, et joue dans un stade à 30 000 places, avec des superbes infrastructures.

Nous on est un petit club, avec des ambitions modestes. On voulait avant tout se maintenir. Quand je suis arrivé au club, je leur ai dit que j’allais tout faire pour aider le club, mais que j’avais aussi l’objectif personnel de me mettre en valeur.

On sent qu’avec du recul, tu sembles plutôt satisfait de ce choix que tu as réalisé en quittant la France pour venir t’installer au Portugal, n’est-ce pas ?

En effet, je ne regrette pas du tout d’être venu ici. Ça m’a donné une vision du football étranger, j’ai pu voir comment ça se passait ici. Je sais que certains disent le contraire, mais le Portugal vit vraiment autour du foot. Ici, j’ai eu l’impression d’être jugé à ma juste valeur, sur mon niveau réel. On s’est davantage intéressé à ma façon de m’entraîner et à mes performances qu’à mon passé.

J’ai fait un petit sacrifice en venant ici, mon objectif était de jouer, d’enchaîner les matchs. Je pense que j’ai fait le bon choix en signant à Moncarapachense, parce que j’ai pu enchaîner les bonnes performances, j’ai repris du rythme, j’ai retrouvé de la confiance, et aujourd’hui je me sens très bien. Pour moi, je suis sur le bon chemin. Je pense à mon ami Amine Oudrhiri, ça n’a pas trop marché pour lui en France, alors il est venu aussi se relancer en D3 portugaise, puis il est allé jouer à Leixoes en D2, et aujourd’hui il est titulaire à Farense en Liga NOS et c’est l’un des meilleurs du championnat à son poste. C’est une belle histoire, ça fait rêver, et je me dis que moi aussi, j’aimerais me créer ma petite histoire.

A 25 ans, qu’elles sont tes ambitions ? Comment envisages-tu l’avenir ?

Mon contrat se termine en fin de saison. Ça peut se finir le 10 avril, comme ça peut aller jusqu’au mois de mai, en fonction du résultat de notre prochain match. Mon objectif, à 25 ans, c’est de monter le plus rapidement possible. Mais je ne veux pas monter pour monter. Je veux monter avec un projet, rejoindre une belle équipe. Si on se qualifie pour la nouvelle D3, je vais évaluer les possibilités. La porte reste ouverte. Je cherche constamment le challenge, je sais de quoi je suis capable, et je sais que j’ai encore des choses à prouver. Si un projet intéressant s’ouvre à moi, je vais y aller directement.

J’ai tout à gagner, j’ai tout à apprendre, je vais tout faire pour aller le plus haut possible. Aujourd’hui, je me sens bien, je bosse pour. Je suis prêt à tout casser, à rattraper le temps perdu et à montrer à toutes les personnes qui ne croyaient pas en moi que Thomas Parada est toujours en vie.

Crédit photo : Instagram – Thomas Parada