Faibles taux de remplissage des tribunes au Portugal : les explications d’un phénomène destructeur pour les clubs

En moyenne, seules 46% des tribunes sont remplies lors des rencontres de Liga Bwin cette saison. Un chiffre relativement faible, qui met en exergue plusieurs problématiques actuelles du football portugais. Explications.

Que les agoraphobes du Portugal soient tranquille : ils peuvent se rendre dans les stades de première division nationale sans trop titiller leur phobie. Criant depuis de nombreuses années, le constat du faible taux de remplissage de l’immense majorité des stades du championnat portugais s’impose comme une problématique majeure, à l’heure où les clubs professionnels du pays cherchent désespérément à accéder à de nouvelles entrées d’argent. Comment explique-t-on que le FC Arouca, actuellement classé cinquième de la Liga Bwin, ne présente qu’une moyenne de 1 600 spectateurs par rencontre à domicile, au sein de son enceinte qui peut en accueillir quatre fois plus ? Nous avons tenté d’expliquer les faibles taux de remplissage des stades de première division portugaise, avec l’aide de deux spécialistes des tribunes lusitaniennes.

Benfica, Porto et les autres ?

46% : c’est à ce jour le taux de remplissage moyen des stades de première division portugaise depuis le début de la saison. Un chiffre relativement faible, bien loin des championnats anglais ou allemands, qu’on peut largement considérer comme les références européennes en la matière. Mais alors, comment explique-t-on une si faible moyenne ? Tout d’abord, il semble important de rappeler que, si le manque de présence au stade touche le football portugais de manière globale, les clubs portugais n’en sont pas tous victimes. Les deux mastodontes du pays, à savoir le SL Benfica et le FC Porto, affichent des moyennes tout à fait raisonnables, proches des 86%, lors de leurs rencontres disputées à domicile. D’autres clubs comme le CS Maritimo ou encore le FC Famalicão, qui possèdent des enceintes aux capacités plus restreintes, disposent également de taux de remplissage plutôt encourageants : 73% pour le club basé à Madère, 70% pour celui situé dans le nord du pays.

Pour le reste, c’est clairement moins flamboyant. Généralement considéré comme l’un des “trois gros” à l’échelle nationale, le Sporting n’affiche cette saison qu’une moyenne de 27 000 spectateurs présents parmi les 50 000 places de l’Estadio José Alvalade et devance ainsi le SC Braga (16 300) et le Vitoria SC (15 000) en terme de présences moyennes par rencontre à domicile. D’autres clubs sont nettement moins attractifs. Malgré une saison impressionnante, avec une cinquième place qui se profile, le FC Arouca ne parvient pas à enregistrer plus de 1 600 spectateurs en moyenne, lors des rencontres qu’il accueille. Concernant Santa Clara ou Portimonense, c’est à peine plus (2 200 spectateurs en moyenne).

Une question de culture ?

Le constat est le suivant : en terme de popularité, seuls deux clubs portugais peuvent prétendre à jouer dans la même cour que les plus grands d’Europe. Selon Alexandre, socio du Vitoria SC et président des White Angels France, l’explication vient avant tout d’un problème de culture. “Au Portugal, nous avons la culture du facilitisme, on a tendance à aller supporter celui qui gagne. Les Portugais ne sont pas forcément intéressés par la manière, c’est plus le résultat qui les passionne. Ce qui compte, c’est gagner des titres, ça s’arrête là. On a aussi la culture de l’institution qui est très présente au Portugal. Certains supporters du FC Porto supportent l’institution FC Porto sans pour autant être attaché à la ville de Porto, à sa région.” Un contexte bien différent de celui présent en Angleterre ou encore Allemagne.

“Il y a une culture en Angleterre et en Allemagne qui est complètement différente. Là-bas, tu nais dans un endroit, tu supportes automatiquement le club d’où tu viens. Ils ont cette culture de l’appartenance que nous n’avons pas”, a enchaîné le supporter du Vitoria SC. “En Allemagne, il y a de fortes rivalités entre les régions, ça renforce également l’attachement que les supporters peuvent avoir avec le club local. On retrouve aussi ça en Italie, où on accorde une certaine importance à des rivalités historiques. Au Portugal, c’est différent. A part la rivalité Nord / Sud, nous n’avons pas d’énormes rivalités entre les régions. Le fait qu’il y ait peu de régions joue aussi là-dedans. Tout est fait pour nous emmener vers ce penchant facilitiste : je supporte soit le gros club du nord (le FC Porto), soit l’un des deux gros clubs du sud (le SL Benfica / le Sporting CP), s’est-il exprimé. Chroniqueur pour Golaço TV, Louich a également évoqué cette tendance naturelle à se rapprocher des “gros clubs du pays” : “Pour moi, la raison principale du faible taux de remplissage dans les stades au Portugal, c’est le monopole du supporterisme tenu par les trois grands. Cela joue énormément en la défaveur de beaucoup d’autres clubs de notre championnat. Par exemple, tu as beaucoup de supporters du Benfica présents dans tout le pays.” Supporter du FC Porto et membre des Super Dragões, Louich indique cependant que, selon lui, “la culture de supporter le club de sa ville reste présente. Même hors des deux grandes villes, certains supportent un “grand”, mais soutiennent également le club local.”

Les médias, également responsables ?

C’est constamment un sujet de débats houleux au Portugal. Depuis la nuit des temps, les principaux médias sportifs du pays proposent en immense majorité du contenu quotidien concernant les trois principaux clubs du Portugal. Les “autres” font beaucoup moins souvent les gros titres.

Derrière cela, on retrouve des raisons économiques évidentes, mais on peut également s’interroger sur les conséquences de ce contexte médiatique. SL Benfica un jour, le FC Porto le lendemain et le Sporting le jour qui suit : le peu de médias sportifs présents quotidiennement au Portugal ont tendance à quelque peu délaisser les autres clubs du pays, forcément moins attractifs auprès des lecteurs. Un contexte qui ne favorise pas le développement d’un certain attachement envers ces clubs : “On a du mal à inculquer l’attachement à un club au Portugal. Les enfants grandissent dans une société où on ne leur parle que de trois clubs. Quand tu grandis là-dedans, c’est difficile de ne pas choisir l’un des trois clubs en question. Tu ne vois pas ça en Angleterre ou en Italie, où tu as plus de journaux sportifs et donc plus de clubs couverts par les médias”, explique Alexandre.

La Ligue, systématiquement pointée du doigt

“Ce n’est pas de ta faute si ton équipe joue à près de 600 kilomètres de chez toi un lundi soir”, tweetait le community manager de Paços de Ferreira le 1er février dernier, avant de proposer une offre exceptionnelle pour les supporters avant un déplacement dans le sud du pays, pour affronter le Portimonense. Avec cette communication, l’actuel relégable a tenté d’augmenter le nombre de supporters présents ce soir-là au sein du parcage visiteur, mais également d’adresser un message aux instances dirigeantes du football portugais.

Contrainte par les diffuseurs, la Ligue Portugal organise chaque semaine des rencontres à des horaires peu appropriées à la présence de supporters. Un phénomène souvent pointé du doigt par les observateurs du football portugais. “La Ligue est très mauvaise dans l’organisation des matchs en général. C’est d’ailleurs très critiqué par énormément de supporters. En même temps, mettre des matchs le dimanche soir ou le lundi à 21h, ça ne peut pas faciliter la venue des supporters. C’est un sacrifice pour les familles”, nous a confié Louich. De son côté, Alexandre partage ce point de vu, mais ne considère pas cette organisation toujours très discutée comme l’explication principale “C’est vrai que des matchs le lundi soir, c’est récurrent, mais ça ne fait pas tout : l’absence de supporters dans les stades, c’est avant tout un problème de culture”, nous a confié le supporter du Vitoria SC.

“On peut aussi ajouter le fait que les prix des billets aient augmenté. Cela éloigne le “peuple” du stade, surtout pour les déplacements. Les Portugais ont beaucoup perdu en pouvoir d’achat au cours des dernières années”, rappelle Louich, avant de mettre en lumière les quelques beaux gestes effectués par certains clubs à destination de leurs socios, à l’image de Paços de Ferreira.

Quand la politique s’en mêle

Si au Portugal, les stades sont rarement pleins, le football reste au cœur des préoccupations. C’est notamment le cas auprès des plus hautes instances nationales. Il y a quelques années, le gouvernement avait notamment décidé d’instaurer une “carte du supporter” payante, afin de contrôler l’accès à certaines zones des stades, en particulier celles occupées par les mouvements ultras. Selon le gouvernement, l’enjeu de cette démarche était de garantir plus de sécurité dans les enceintes sportives, avec davantage de sanctions individuelles pour les supporters trop engagés, de sorte à inciter les familles à retrouver les tribunes.

Une “carte des supporters” qui a provoqué la colère d’une immense majorité de concernés à travers le pays, et qui a marqué un réel tournant dans les relations déjà complexes entretenues entre les groupes de supporters et les plus hautes instances nationales. Directement concerné par la “carte de supporter”, Louich a évoqué ce contexte compliqué entre les groupes de supporters et le gouvernement portugais : “Je me suis moi-même senti concerné et j’ai dû faire des choix. A l’heure actuelle, on nous a retiré cette fameuse “carte du supporter” mais les ZCEAP (Zonas com Condições Especiais de Acesso e Permanência de Adeptos) ont continué, avec le fait d’avoir des billets nominatifs et de devoir être identifié à tous les matchs. Il y a encore beaucoup de groupes d’ultras au Portugal qui se battent contre cette mascarade.”

Et si c’était à priori le but recherché, ces mesures gouvernementales ne favorisent en rien le retour des familles au stade. Bien au contraire : elles accentuent certains stéréotypes et contribuent à assimiler les stades de football, – lieux de rassemblement et de partage – , à des endroits dangereux où il serait mal venu de se rendre en famille.

Des dizaines de clubs qui en pâtissent

Vous l’aurez compris : au Portugal, le contexte, qu’il soit culturel, médiatique, institutionnel ou encore politique, ne facilite en rien la venue des supporters dans les stades. Si on ajoute à cela le fait que la Liga Bwin soit le championnat européen comptant le plus de fautes par rencontre, avec un temps de jeu effectif relativement faible à chaque match, et donc un spectacle sportif finalement assez pauvre : on obtient des tribunes partiellement vides de parts et d’autres du pays.

Un contexte global destructeur pour les nombreux clubs concernés, qui auraient pourtant bien besoin de quelques milliers de supporters supplémentaires pour améliorer leurs bilans comptables et redonner un peu de vie à leurs rencontres. Avant cela, une restructuration à grande échelle s’impose. A tous les niveaux.

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