Estoril : La jeunesse comme premier levier de développement

Estoril

Dans le contexte sportif et économique toujours plus inégalitaire que connaît le football professionnel au Portugal, le club d’Estoril Praia s’est démarqué, au cours des dernières années, à travers la qualité de ses jeunes joueurs. Un constat qui résulte d’un travail de longue haleine, mené par l’ensemble des membres du club qui a fait son grand retour dans l’élite du football national lors de la saison 2021-22. A la découverte du projet d’Estoril, à travers les témoignages exclusifs du CEO Guilherme Muller et de son directeur sportif, Pedro Alves.

Avec à peine plus de 24 ans de moyenne d’âge, l’effectif d’Estoril est actuellement l’un des plus jeunes de la Liga Bwin. Sur les dix-huit équipes qui composent le championnat d’élite du football portugais, seules celles du Vitoria SC et du FC Famalicão peuvent se targuer de posséder un groupe professionnel aussi jeune.

Avoir des jeunes joueurs dans son effectif est une chose. Leur donner des conditions propices à leur développement en est une autre. Et là encore, Estoril se démarque. En effet, le club peut également se satisfaire d’une statistique loin d’être anodine : en janvier dernier, un rapport du CIES affirmait qu’Estoril était la quatrième équipe qui accordait le plus de temps de jeu aux joueurs issus de sa propre formation au sein du championnat portugais.

Un exploit, pour un club aux revenus relativement modestes, de se retrouver devant des formations comme le Sporting CP ou le SC Braga, connues notamment pour la bonne utilisation de leurs meilleurs prospects.

A l’heure actuelle, l’effectif principal du club d’Estoril Praia compte pas moins de cinq joueurs passés précédemment par sa catégorie U23. On note, en premier lieu, la présence du gardien de but, Dani Figueira, ou encore celle du défenseur central Bernardo Vital, qui ont tous deux déjà côtoyé l’élite la saison passée. D’autres joueurs également passés par la case U23 des Canarinhos, comme le très prometteur Tiago Santos, ainsi que João Marques et João Oliveira, ont eux aussi réussi à franchir le cap et à intégrer le plus haut niveau national sous les couleurs jaunes et bleues.

Le jeune Tiago Santos, fraîchement promu en équipe première d'Estoril. Crédit photo : IconSport
Le jeune Tiago Santos, fraîchement promu en équipe première d’Estoril.
Crédit photo : IconSport

Des résultats impressionnants chez les jeunes

Et en même temps, comment le club d’Estoril aurait pu passer à côté de ces jeunes talents qui ont, pour la plupart, contribué au succès récent des catégories jeunes ? Durant les saisons 2021/21 et 2021/22, l’équipe U23 de l’Estoril-Praia, alors dirigée par un certain Vasco Botelho de Sousa, est parvenue à créer un exploit inédit en remportant le doublé coupe / championnat de la catégorie durant deux années consécutives.

Les U23 d'Estoril, champions.

Deux saisons exceptionnelles, qui ne sont pas pour autant des épiphénomènes. Cette saison encore, le club était tout proche d’un troisième succès en Liga Revelação, mais s’est finalement incliné au goal average particulier, malgré un nombre de points similaire à celui du champion.

Une politique clairement tournée vers la jeunesse

Un succès qui peut paraître surprenant, mais qui est loin d’être anodin. En réalité, la réussite des équipes jeunes d’Estoril, et la capacité des meilleurs éléments U23 à intégrer l’équipe première, n’est autre que le résultat d’une politique clairement tournée vers l’avenir, derrière laquelle l’ensemble des membres du club est alignée depuis plusieurs saisons. A commencer par le CEO, Guilherme Muller. Conscient du contexte économique particulièrement délicat qui touche la quasi-totalité des clubs professionnels portugais, la formation est ainsi vue comme le meilleur moyen de rester compétitif. « Un engagement sérieux et constant sur la formation est la seule manière pour les clubs portugais d’améliorer leur compétitivité. Cela implique non-seulement le fait de miser sur le talent des jeunes joueurs présents dans le pays, mais également sur les connaissances de nos techniciens et sur la qualité de nos structures d’accompagnement pour créer une environnement favorable au développement de ces talents », nous a confié le CEO du club.

Cela n’est un secret pour personne : le football professionnel portugais souffre d’importantes inégalités, notamment sur l’aspect économique. Les droits télévisés n’étant toujours pas mutualisés, les clubs les plus modestes, comme l’Estoril Praia, doivent se contenter d’un budget extrêmement faible pour tenter de rester compétitif. « Il est très difficile d’augmenter ses revenus commerciaux et il est de plus en plus compliqué d’attirer les talents des pays qui sont reconnus comme les marchés traditionnellement ciblés par les clubs portugais. Il est important de voir ce contexte comme une opportunité de développer la formation des jeunes, de sorte à ce qu’ils puissent apporter une contribution à l’équipe principale, avant de faire éventuellement un saut inévitable vers d’autres marchés qui offrent des conditions supérieures », a-t-il enchaîné.

Et s’il considère notamment son centre de formation comme un formidable moyen de générer des ventes, et ainsi compenser les faibles revenus obtenus chaque année par les clubs du championnat portugais, Guilherme Muller ne s’y trompe pas. Au cours des dernières saisons, le club d’Estoril est parvenu à effectuer un certain nombre d’opérations relativement intéressantes sur le marché des transferts. En février 2019, le club portugais avait notamment reçu environ 3,5 millions d’euros pour la vente du jeune milieu de terrain brésilien Marcos Antonio au Shakhtar. Egalement passé par les équipes jeunes d’Estoril, Chiquinho a lui aussi rapporté plusieurs millions d’euros aux caisses du club lors de son départ à destination de Wolverhampton en janvier 2022. En Angleterre, l’ailier portugais a ainsi pu retrouver Toti, qui a effectué le même voyage deux saisons plus tôt. S’il a entre temps connu un passage remarqué au Sporting, l’international portugais Matheus Nunes a lui aussi fréquenté l’équipe U23 d’Estoril avant de faire l’objet d’un transfert vers le club lisboète, pour finalement s’épanouir à l’étranger.

Chiquinho sous les couleurs d'Estoril. Crédit photo : IconSport
Chiquinho sous les couleurs d’Estoril.
Crédit photo : IconSport

L’importance relative des résultats en jeune

Le succès de l’équipe U23 d’Estoril pourrait laisser penser l’inverse, mais en réalité, les résultats collectifs affichés par les jeunes ne semblent pas être une priorité au sein du projet d’Estoril. « Le résultat collectif est important, on aime gagner et on ne s’en cache pas, mais ce n’est pas le facteur qui va déterminer si le travail a été bien fait ou non », nous a confié le directeur sportif du club, Pedro Alves. En réalité, la priorité du club est avant tout de maximiser le développement individuel de ses jeunes joueurs, de sorte à les mettre dans les conditions optimales pour leur permettre d’atteindre l’équipe principale par la suite. « Chaque joueur qui fait ses débuts en Liga Bwin représente l’équivalent d’un trophée pour tous ceux qui ont été impliqués dans son processus de développement », précise le directeur sportif portugais.

Ainsi, l’évolution de cette équipe U23, considérée comme la dernière étape de la formation des joueurs « made in Estoril », peut parfois paraître surprenante. « Les années précédentes, nous avons tout gagné en jeunes et pourtant, cette année, nous avons revu notre équipe technique de façon complète. Nous avons basé notre travail sur un processus ancré, sur lequel nous croyons beaucoup. Cette année, nous n’avons pas gagné le championnat U23 mais nous avons lancé trois joueurs dans l’équipe principale, nous avons baissé la moyenne d’âge de l’équipe première et nous pensons avoir renforcé de le club en construisant une base de joueurs capables d’intégrer l’équipe première avec succès à l’avenir », a enchaîné Pedro Alves. Des facteurs clés du développement de ce projet, considérés comme bien plus importants que les trophées, davantage vus comme de simples bonus.

Un contexte géographique complexe pour Estoril

Le défi est de taille pour l’Estoril Praia. Et il l’est d’autant plus compte tenu du fait que ce club, qui tente d’exister à travers la qualité de ses jeunes pousses, est basé à quelques kilomètres seulement de deux concurrents directs, à savoir le SL Benfica et le Sporting CP. Deux clubs aux ressources financières bien plus importantes qui sont, de plus, considérés comme des références à l’échelle européenne en matière de formation. Une donnée non-négligeable, qui rajoute donc une certaine difficulté pour les Canarinhos, contraints de s’adapter à l’attractivité incomparable portée par les deux mastodontes lisboètes auprès des meilleurs jeunes de la région.

Une attractivité qui s’explique par un passé riche, signe d’un réel savoir-faire en matière de formation, mais également par la qualité des infrastructures présentes au sein de ces deux académies de référence. « La qualité des joueurs de la formation et la quantité de joueurs ayant le potentiel pour jouer dans l’équipe principale est proportionnelle à la qualité des infrastructures sportives », nous a indiqué le CEO Guilherme Muller, conscient des limites du complexe d’Estoril. Le dirigeant envisage d’ailleurs « d’évaluer la possibilité de moderniser les infrastructures, de sorte à s’adapter à la concurrence actuelle. »

Un contexte délicat, qui ne semble pas pour autant empêcher le club d’Estoril d’avancer avec ses propres arguments. « On croit en ce qu’on fait, nous ne sommes ni meilleurs, ni pires que les autres, nous sommes seulement différents », nous a confié Pedro Alves avant d’ajouter : « Il est difficile d’entrer en compétition avec les clubs qui ont des ressources supérieures, mais compte tenue de notre place sur le marché, nous comprenons que nous pouvons proposer une offre différente. Nous avons cette capacité d’attirer des joueurs qui, dans d’autres clubs, feraient face à une concurrence plus importante et mettraient potentiellement plus de temps à atteindre le plus haut niveau, avec également l’éventualité de ne jamais l’atteindre. »

Ce qui semblait donc s’apparenter à une réelle menace peut ainsi devenir une force. Le cas d’André Franco en est le parfait exemple. Formé au Sporting, le milieu offensif portugais a fait les frais de la forte concurrence présente chez les Leões, et s’est ainsi relancé dans les rangs des Canarinhos d’Estoril à l’aube de son vingtième anniversaire. Quelques années plus tard, il s’est distingué comme l’un des hommes forts de l’équipe première durant la saison dernière, à tel point que le champion du Portugal en titre, le FC Porto, est venu l’enrôler contre environ 4 millions d’euros à l’intersaison.

André Franco sous les couleurs d'Estoril. Crédit photo : IconSport
André Franco sous les couleurs d’Estoril.
Crédit photo : IconSport

Un parcours relativement semblable à celui de Miguel Crespo, arrivé libre en provenance du SC Braga en 2019, deux ans avant de faire l’objet d’un transfert au Fenerbahçe après une saison particulièrement réussie en II Liga. « Nous faisons un travail d’identification des talents de sorte à les introduire dans notre propre contexte, et nous croyons que nous pouvons leur donner les outils nécessaires pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes », ajoute Pedro Alves.

Des garanties en équipe première ?

Dans ce processus de développement des joueurs, le maillon final reste donc l’accès à l’équipe première. Ainsi, la direction accorde une attention toute particulière lorsqu’il s’agit de choisir le staff technique de l’équipe qui dispute la Liga Bwin. En effet, la direction du club affirme le fait de souhaiter sélectionner, en partie, son équipe technique selon la capacité de chacun à accompagner des jeunes joueurs vers le plus haut niveau, dans une volonté de respecter la ligne de conduite de ce projet.

Au-delà de cette caractéristique recherchée, la direction assure également le fait d’imposer quelques exigences au staff technique de son équipe première. Entre autres, la priorisation des jeunes talents de l’équipe U23 lorsqu’il s’agit de renforcer l’équipe première à un poste précis. « Parfois, je peux cibler deux joueurs expérimentés pour un poste, et je sais qu’ils pourraient me donner des garanties immédiates, mais si je pense qu’on a un jeune qui peut se faire sa place, je lui tiens à lui donner la possibilité de montrer s’il est préparé ou non à ce contexte », nous a confié Pedro Alves. Dans cette logique, chaque période de pré-saison représente l’occasion, pour plusieurs jeunes joueurs de l’équipe U23 d’Estoril, de rejoindre le groupe principal afin de tenter de marquer des points en vue de la saison à venir.

Un avenir prometteur pour Estoril ?

Si le projet semble plutôt bien ficelé, à tel point qu’il présente déjà certains faits d’armes évoqués plus haut, l’équipe principale d’Estoril-Praia reste cependant plongée dans une forme d’instabilité commune à la majeure partie des clubs qui forment l’élite du football portugais. Neuvième du classement la saison passée, ce qui représente un résultat final plutôt satisfaisant pour un promu, le club siège aujourd’hui à une décevante quinzième place de Liga Bwin, avec déjà 19 défaites subies en l’espace de 31 rencontres.

Reste à savoir si cette stratégie basée principalement sur la jeunesse portera ses fruits sur le long terme, et permettra au club jaune et bleu de faire face au contexte actuel du football professionnel portugais.

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