Le pénalty de la délivrance. A l’heure de jeu du match qui opposait les jaunes d’Arouca aux roses de Chaves ce week-end, l’international guinéen Morlaye Sylla est venu ponctuer, d’un contre-pied parfait, une saison tout simplement exceptionnelle, tant pour son équipe que pour son cas personnel. Revenu au Portugal après un passage de quelques années dans son pays natal, l’ailier de 24 ans a ainsi contribué à réaliser un exploit : celui d’amener le FC Arouca jusqu’aux compétitions européennes. En effet, avec cette victoire sur la plus petite des marges contre Chaves, l’équipe portugaise a assuré sa qualification pour la Ligue Europa Conférence, qu’elle disputera donc la saison prochaine.
Et si la nouvelle a généré des scènes de liesse auprès des supporters de l’Estadio Municipal, celle-ci pourrait paradoxalement œuvrer comme un mauvais présage. C’est, du moins, ce que laisse entendre l’histoire récente.
Un FC Arouca méritant
Pas grand monde n’aurait misé sur le FC Arouca. Et pourtant, les Arouquenses font partie de ces quelques clubs portugais qui effectuent un travail louable ces dernières années. Pensionnaire de troisième division lors de la saison 2019-20, le club a d’abord connu une montée relativement contestée au second niveau national. En effet, alors que le monde entier était frappé par la pandémie de Covid-19, la Fédération Portugaise de Football avait annoncé mettre un terme à un Campeonato de Portugal alors loin d’être terminé. Cette compétition, qui réunissait pas moins de 72 équipes réparties en quatre poules de 18, devait alors constater la promotion de deux de ses clubs vers l’échelon supérieur. Et après de multiples discussions, les instances portugaises ont tranché et ont décidé de récompenser les deux équipes qui comptaient le plus de points au moment de l’arrêt des compétitions, toutes poules confondues. Une décision très contestée, qui a finalement fait les affaires du FC Arouca qui, au même titre que le FC Vizela, s’est vu accéder à la seconde division.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les Arouquenses ont rapidement trouvé leur place. Après un changement d’entraîneur, avec l’arrivée en poste d’Armando Evangelista, l’équipe est parvenue à retrouver l’élite dès sa première saison en deuxième division. Un parcours fantastique, ponctué par une victoire surprise mais méritée face au club de Rio Ave en barrages d’accession à la Liga Bwin.
Mais le plus difficile restait à faire. Avec deux montées consécutives au compteur, l’équipe d’Arouca a disposé de très peu de temps pour se mettre au niveau de la Liga Bwin. Contre toute attente, le club est tout de même parvenu à se maintenir avec une honorable quinzième place à clé. Une saison de transition. Car la suite est encore plus impressionnante pour le club basé près de Porto. Si la saison actuelle n’a pas débuté de la meilleure des manières pour Armando Evangelista et les siens, avec notamment deux lourdes défaites en championnat face au Benfica (4-0) et à domicile contre Braga (0-6) lors des premières journées, l’équipe d’Arouca est rapidement parvenue à sortir la tête de l’eau, enchaînant les bons résultats en championnat comme en coupe nationale. C’est ainsi que, sans faire trop de bruit, le FC Arouca s’est hissé dans le haut du tableau, profitant des saisons plutôt compliquées de certains outsiders comme Estoril ou Gil Vicente.
Lors de la dernière journée, le club d’Arouca se déplacera dans le sud du pays pour affronter Portimonense et ainsi essayer de s’emparer d’une cinquième place historique. Pour autant, les Arouquenses sont, depuis ce week-end, d’ores et déjà assurés d’être européens la saison prochaine, ce qui constitue déjà un exploit de taille. Au moins aussi important que celui réalisé lors de la saison 2015/16, durant laquelle le club s’était qualifié pour la Ligue Europa.
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Les fantômes du passé ?
Beaucoup l’ont oublié, mais le FC Arouca a en effet déjà disputé les compétitions européennes par le passé. Avant sa descente aux enfers qui l’a mené jusqu’à la troisième division lors de la saison 2019-20, le club avait donc participé à l’édition 2016/17 de la Ligue Europa. Une juste récompense après une saison historique en championnat. Sans grande surprise, le gardien de but Rafael Bracalli et les siens n’étaient pas parvenus à aller très loin dans la compétition. Après un succès face aux Néerlandais du Heracles Almelo au troisième tour préliminaire, l’équipe portugaise s’était inclinée à l’aller comme au retour en barrages, contre l’Olympiakos de Paulo Bento.
Une élimination précoce qui avait rendu la saison d’Arouca très compliquée. Après cela, les Arouquenses ont enchaîné les défaites sur la scène nationale, terminant la saison à l’avant-dernière place du classement. Quelques mois seulement après avoir affronté un mastodonte du football grec sur la scène européenne, le club portugais s’est ainsi vu relégué au second niveau national. Le même sort, en troisième division cette fois-ci, deux petites saisons plus tard.
L’Europe, un mauvais présage au Portugal ?
Et aussi surprenant que cela puisse paraître, Arouca n’est pas un cas isolé au Portugal. Depuis la descente aux enfers du club basé dans le nord du pays, d’autres ont également emprunté le même chemin vers la deuxième division après avoir connu l’Europe. Les clubs de Santa Clara et de Paços de Ferreira sont de parfaits exemples de ce terrible constat. Les deux formations, d’ores et déjà reléguées en seconde division pour la saison prochaine, étaient toutes les deux européennes au début de la saison dernière.
Le club de Rio Ave a également connu ce passage du succès à l’échec il y a deux saisons. Qualifié pour disputer les tours préliminaires de la Ligue Europa au début de la saison 2020-21, l’équipe qui avait livré une bataille impressionnante face à l’AC Milan avait elle aussi terminé l’exercice en tant que relégable, avec seulement 7 matchs glanés sur 34 en championnat. Cette saison, Gil Vicente et son statut de club européen au début de l’exercice a également éprouvé de grosses difficultés en championnat, appuyant une fois de plus ce constat devenu implacable.
Le résultat d’un système archaïque
Alors, simple coïncidence ? A vrai dire, il semblerait qu’une corrélation aussi troublante entre une saison réussie, récompensée par une aventure européenne, et des saisons suivantes ratées vienne mettre en lumière l’un des nombreux maux qui touchent le football professionnel au Portugal. Dans l’un des championnats les plus inégalitaires du continent européen, où l’écart de budget entre les plus gros clubs et leurs voisins plus modestes est nettement plus importante que partout ailleurs, il semblerait que ces derniers souffrent d’un réel manque d’accompagnement de la part des instances.
Un constat qui s’applique notamment sur le sujet épineux des droits télévisuels. En effet, en l’absence d’une mutualisation de ces droits, la majeure partie des clubs portugais sont condamnés à se contenter d’un revenu annuel relativement faible. Qu’il soit européen ou non, le club d’Arouca recevra la même somme, ridicule à l’échelle du football européen, provenant des droits de ses matchs dans les compétitions européennes. Une formule inédite en Europe, qui s’oppose au système plus classique, qu’on aperçoit notamment en Ligue 1 ou en Premier League, ou la part des revenus des droits télévisés est attribué en fonction des résultats sportifs récents. Le système portugais, mettant davantage en valeur la réputation des clubs que le mérite sportif de ces derniers entraîne une instabilité inévitable pour l’immense majorité des formations, incapables de proposer une certaine régularité au fil des saisons, faute de moyens.
Devant se préparer à jouer l’Europe, sans pour autant avoir les moyens de se montrer ambitieux sur la scène continentale, les clubs portugais les plus modestes doivent généralement se préparer à des coûts supplémentaires, et ainsi accepter de se séparer de certains membres clés de leur effectif pour préparer l’aventure européenne. Si Arouca a d’ores et déjà perdu Oday Dabbagh, qui s’est engagé en faveur de Charleroi en Belgique, le club portugais pourrait bien se séparer d’autres éléments clés de son effectif dès cet été, comme Morlaye Sylla ou encore Rafael Mujica, qui suscitent un certain intérêt à l’étranger après leur bonne saison respective.
Alors, la place qualificative obtenue au mérite par le FC Arouca n’aura-t-elle pas finalement l’apparence d’un cadeau empoisonné ? C’est l’avis partagé par certains, dont le président de Chaves, Francisco José Carvalho. Alors que son club terminera la saison à la septième place du classement, le dirigeant a récemment déclaré qu’il s’opposait volontairement à une éventuelle qualification européenne, jugée, en l’état, dangereuse pour le projet économique du club. « En ce moment, nous ne pouvons pas nous permettre de jouer l’Europe. Nous venons tout juste de sortir d’une situation très compliquée, nous n’avons pas la structure nécessaire pour un projet de cette dimension », a-t-il assuré au journal Record, avant de préciser que sa priorité du moment concernait les travaux du stade, estimés à 300 000€.
En attendant que ces prises de position fassent bouger les choses, le FC Arouca et ses très faibles revenus devront donc tenter tant bien que mal de poursuivre sur leur lancée en honorant du mieux possible cette juste récompense.
Crédit photo : IconSport
Alexandre Ribeiro a lancé le site Trivela.fr en 2019 et le dirige aujourd’hui aux côtés de ses collaborateurs. Passionné par le football portugais dans son ensemble, et notamment par l’équipe nationale portugaise, c’est avec toute son énergie et son implication qu’il fait vivre ce média de façon quotidienne.
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