Entretien – Gaïus Makouta (1/3) : “Je travaillais à l’usine et le soir j’allais m’entraîner”

Auteur d’un très bon début de saison avec Boavista, l’international Congolais Gaïus Makouta s’est confié sur son parcours atypique, en exclusivité pour Trivela. Partie 1 sur 3.

Cela fait désormais plus d’une saison que Gaius Makouta évolue dans l’élite du football portugais. S’il parvient aujourd’hui à s’affirmer comme un élément moteur de Boavista, l’international congolais de 25 ans a dû passer par des étapes nettement plus compliquées. De ses débuts à Cergy-Saint-Christophe à la Grèce en passant par l’usine, le natif de Beaumont-sur-Oise est revenu sur son parcours atypique au cours de cette première partie de l’entretien qu’il nous a accordé.

Peux-tu nous raconter tes premiers contacts avec le football ? As-tu eu d’autres passions qui ont marqué ta jeunesse ?

GM : Mes premiers souvenirs dans le foot, c’était quand j’étais tout petit, j’habitais avec mes parents à Cergy-Saint-Christophe dans le 95. Je pense que j’ai directement accroché, j’avais peut-être déjà un petit quelque chose. Je n’ai jamais testé d’autre sport, ça a été le foot directement et ça a matché jusqu’à aujourd’hui où je peux en faire mon métier. Au début, tu y vas pour t’amuser, tu vois le foot à la télé, ça donne envie d’y être, mais tu ne sais pas vraiment ce que c’est que le football professionnel. A partir de 12-13 ans, quand tu commences à entrer en pré-formation, tu te mets à y penser plus sérieusement.

A l’âge de douze ans tu passes des détections à Clairefontaine. Comment ça s’est passé ?

GM : Je jouais à Moissy-Cramayel en U13. Le club nous a inscrit, j’ai fait mes tours classiques, de départemental à régional jusqu’aux derniers tours, à Clairefontaine même. Au final, je n’ai pas été sélectionné. J’ai vécu ça comme une première déception. C’est difficile quand t’es petit, surtout qu’à l’époque, Clairefontaine était vu comme l’une des meilleures académies du pays. J’ai pris une petite claque, mais ça va, ça a été parce que je savais que j’allais intégrer un club professionnel juste derrière, ça a pansé la plaie.

“A Auxerre, j’ai pris une grosse claque, j’étais vraiment triste.”

Tu intègres ensuite l’AJ Auxerre…

GM : Quand je signe à Auxerre, c’est le deuxième meilleur centre de formation de France. Le choix était facile, ils gagnaient plein de tournois en jeunes, avaient beaucoup de joueurs qui jouaient en équipe de France de jeunes… C’était la première fois que je quittais la maison, je n’avais que 12-13 ans. J’étais un petit garçon talentueux au foot, mais j’avais beaucoup de problèmes de comportement, j’étais très dissipé. Je me suis fait virer de l’école pour quelques jours, le club m’avait averti une première fois, puis je me suis fait renvoyer définitivement de l’école et à ce moment-là, je me suis aussi fait virer de l’AJA. Là, j’ai pris une grosse claque, j’étais vraiment triste.

Tu rejoins ensuite Amiens…

GM : Après ça, je suis rentré chez ma mère pour reprendre une vie “normale”. Six mois plus tard, j’ai passé deux essais : à Châteauroux et à Amiens. Les deux ont été concluants. J’ai donc fait trois saisons à Amiens, une en pré-formation et deux en centre de formation, puis je suis parti parce que le club allait perdre son statut professionnel. Je voulais à tout prix être dans un club professionnel, je ne réfléchissais pas toujours avec maturité à cette époque.

Tu poursuis ta route au Havre…

GM : J’ai eu l’opportunité de rejoindre Le Havre parce qu’on les avait battus en U17 et que j’avais bien plu au coach. A ma grande surprise, ils m’ont proposé de signer un an, mais pour rejoindre directement l’équipe réserve. Je n’avais que 16 ans, je suis passé des U17 nationaux à la réserve du Havre, où il n’y avait quasiment que des adultes. A l’époque il y avait Ferland Mendy, Nathaël Julan, Harold Moukoudi, Lys Mousset, Alimami Gory… que des très bons joueurs, ça m’a fait passer à un autre niveau. Mais ça a été une année difficile. Ils ont mis beaucoup d’espoirs sur moi et je n’ai pas su répondre aux attentes. Je m’entrainais avec la réserve et je redescendais avec les U19 à la veille du match. J’avais du mal, je n’avais pas confiance en mon jeu. A la fin de l’année, ils n’ont pas donné suite.

“Je travaillais à l’usine de 6 heures à 13 heures et le soir, j’allais m’entraîner”

Tu connais alors une période un peu difficile…

GM : A ce moment-là, c’était compliqué. Je suis rentré chez ma mère et j’avais plus envie de penser au football. Je suis allé en vacances en Turquie avec un ami, puis quand je suis rentré, ma mère insistait pour que je m’inscrive à l’école. Je n’avais pas envie de ça non plus. Quand t’as eu l’habitude de suivre un programme aménagé pour le foot, t’es décalé des autres. Quand c’est fini, il faut s’adapter. Je ne me voyais dans rien, ni pompier, ni prof de sport… Aucun métier ne me donnait envie.

J’ai travaillé quelques semaines avec ma mère pour passer le temps, puis j’ai eu une opportunité pour signer à Créteil qui était en Ligue 2. J’avais 19 ans, si je pouvais toucher le niveau Ligue 2, c’était vraiment pas mal. Mais arrivé là-bas c’était compliqué. J’ai commencé en réserve, le coach avait déjà son équipe, je suis arrivé tard et je n’étais pas prévu. J’ai joué toute l’année en U19 et j’ai fait une bonne saison. J’ai retrouvé beaucoup d’amis d’enfance, le coach Olivier Debert me faisait confiance, on avait une bonne équipe, j’ai vraiment pris du plaisir. J’avais passé 5-6 années un peu loin de tout, donc ça me faisait plaisir d’être proche de ma famille, de mes amis.

A cette époque, tu travailles à l’usine à côté des entraînements…

GM : Je travaillais à l’usine entre 6 heures du matin et 13 heures, et le soir j’allais au foot. C’était histoire de gagner un peu d’argent. Cette année-là j’ai eu un déclic. Je travaillais en intérim avec des mères de famille, des pères de famille. Après tout ça, j’ai pris en maturité, j’ai gagné en persévérance, en motivation. Cette période a été un tournant pour moi. L’usine c’était dur, mais j’étais content de travailler. Avant ça, je n’avais jamais été payé pour le foot. Mes premiers salaires c’était à l’usine, donc j’étais heureux de gagner mon argent. J’avais un peu de sous pour m’acheter des vêtements, sortir un peu, aider ma mère aussi, payer mon permis. Et puis en parallèle, j’avais toujours mon petit foot avec au fond de moi, toujours un petit espoir d’y arriver. C’était vraiment une belle période.

“Ils buvaient de la bière, sniffaient de la coc’… C’était n’importe quoi”

Après Créteil, tu rejoins l’Irlande. Une destination surprenante pour un jeune français…

GM : Mon oncle avait un ami qui connaissait un agent, il venait de placer un joueur en Irlande et connaissait l’entraîneur d’un club de D1. Quand il m’a dit ça, je me suis dit que je n’avais rien à perdre. C’était l’opportunité de signer un premier contrat professionnel et d’entrer dans le circuit : si je devais signer dans un autre club par la suite, j’avais déjà un statut professionnel. On est allé au stade de Créteil, il a pris sa caméra et m’a filmé en train de faire des jongles et des petits slaloms pour envoyer à l’entraîneur irlandais. Le coach a reçu la vidéo, il a apprécié et a demandé à me voir. C’est comme ça que je me suis retrouvé en Irlande. J’ai failli rater mon vol d’ailleurs, je suis arrivé en retard à l’embarcation (rires). Là-bas, le championnat c’est de mars à octobre. Moi j’arrive en juillet, en cours de saison. J’ai fait un match ou deux, puis l’entraîneur qui m’avait pris a démissionné. Son successeur ne m’a jamais fait jouer… J’avoue que ça m’a un peu tué.

Et la vie en Irlande ?

GM : Ils m’ont mis chez un Irlandais qui me louait une chambre dans sa maison… Laisse tomber. Des fois je dormais en haut, lui était en bas avec ses potes, musique à fond, ils buvaient de la bière, les mecs sniffaient de la coc’, laissaient le salon dans le désordre… C’était n’importe quoi. Il n’était pas souvent à la maison mais en vrai, il était gentil et respectueux avec moi. Il essayait de m’aider, m’expliquer des trucs, me donner des petits conseils sur la vie ici. Je passais mon temps dans ma chambre, ça a duré trois mois, jusqu’à fin octobre. Après, je suis rentré en France.

Un nouvel échec, donc…

GM : A ce moment-là, mon agent avait plusieurs contacts. Il m’a proposé de la D2 tchèque… ça ne m’intéressait pas. Je suis donc retourné voir l’intérim. Mais ils ne m’ont pas envoyé au même entrepôt qu’avant. Ce taff là, laisse tomber. Je suis arrivé à 6 heures du matin, ils m’ont mis sur une chaine, ça allait tellement vite. Pa, pa, pa, fallait enchaîner. Il y a une première heure qui est passée, c’était trop dur. Au bout d’une heure je suis parti, abandon de poste, je suis rentré chez moi, j’en pouvais plus. C’était vraiment trop dur. L’intérim m’a appelé pour m’engueuler mais je ne pouvais pas, ce n’était juste pas possible.

Quelques jours plus tard, mon agent me trouve un essai à Nottingham Forest en Angleterre. Je me suis entraîné avec les U23, c’était spécial. Je n’avais pas la mentalité qu’il fallait, je n’étais pas prêt à me battre pour être pris. J’ai fait cet essai sans vraiment le faire. Je suis resté deux semaines, puis ça n’a pas marché. De retour chez ma mère…

“Je mangeais le plat principal le midi et je gardais la salade, le pain et le dessert pour manger un peu le soir.”

Tu te retrouves ensuite en Grèce, à Thessalonique ?

GM : C’est ça. On me propose de faire un essai à l’Aris Thessalonique qui venait de descendre en D2. Je pars là-bas et mon vol a été interrompu à cause des intempéries, du coup on est resté bloqué en Serbie. Je suis arrivé avec deux jours de retard. J’ai été accueilli par le coach, j’ai fais les entraînements avec l’équipe première et au bout d’un mois ils m’ont enfin dit qu’ils allaient me garder. C’était long, j’étais en train de perdre patience, je m’entrainais sans savoir si j’allais rester. Le premier match que je joue, c’est en Coupe, à l’Olympiakos. Magnifique. En face il y avait Oscar Cardozo, Aly Cissokho… J’ai joué à peu près 75 minutes, j’ai sorti un bon match. Je me suis dit “wow, j’étais à l’intérim, à gauche à droite, aujourd’hui je me retrouve à jouer contre l’Oympiakos dans leur stade…” j’étais trop content, tout le monde me félicitait. Je pensais que j’allais enchaîner, mais pas du tout. C’était un club habitué à la D1 qui venait de descendre, donc ils ont ramené des mecs expérimentés pour remonter le plus vite possible. Je n’ai pas beaucoup joué, j’ai fait beaucoup de banc là-bas.

Tu as aussi été confronté à des soucis de salaires en Grèce…

GM : C’était difficile. Sur les six mois, je n’ai été payé qu’une seule fois. Je n’avais pas d’argent, je dormais à l’hôtel. J’ai failli me faire virer plusieurs fois parce que je ne pouvais plus payer, je n’avais rien. A chaque fois j’étais sur le fil, le club venait au dernier moment pour payer l’hôtel, mais continuait à ne pas me payer. A l’hôtel j’avais le droit à un repas par jour : un truc genre entrée / plat / dessert. Je prenais le repas du midi, je mangeais le plat principal et je gardais ma salade, le pain et le dessert pour manger un peu le soir. J’étais livré à moi-même, c’était un peu compliqué. Après six mois, je n’ai pas renouvelé.

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Dans la prochaine partie de l’entretien, Gaius Makouta évoquera notamment son arrivée au Portugal, ses passages à Covilhã et à Braga, ainsi que ses quelques anecdotes avec son ancien entraîneur Ruben Amorim.

Crédit photo : IconSport

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