Le Japon et la Liga Bwin, une relation amenée à durer

Depuis quelques années, les joueurs japonais sont toujours plus nombreux au Portugal. Retour sur l’histoire entre les clubs portugais et le pays du Soleil-Levant.

Cet hiver, le Japon a été l’une des équipes surprises de la Coupe du Monde 2022, ce qui a permis d’attirer l’attention sur beaucoup de joueurs nippons. Si des athlètes comme Daichi Kamada ou encore Takehiro Tomiyasu sont des noms qui commencent à être bien connus des fans de football européen, certains de ces internationaux japonais évoluent encore dans leur pays, ce qui pousse beaucoup de clubs à scruter la J1 League. Le marché japonais se développe de plus en plus, mais les clubs portugais n’ont pas attendu 2023 pour s’y intéresser.

Toujours plus de Japonais au Portugal

Depuis maintenant plusieurs années, la Liga Bwin compte chaque saison la présence de plusieurs joueurs japonais dans ses rangs. Pourtant, lors de la saison 2016/2017, pas un joueur nippon n’évoluait dans l’un des 18 clubs portugais qui composaient alors la première division. La saison suivante, les choses ont commencé à changer puisque deux joueurs japonais sont arrivés au Portugal, rejoignant tous deux le Portimonense SC. Depuis ce déclic initié par les Alvinegros, le nombre de joueurs japonais est en constante augmentation. Lors du début de la saison en cours, on comptait pas moins de huit joueurs japonais dans les rangs des clubs de Liga Bwin. Le contingent japonais au Portugal est même passé de 8 à 10 joueurs à la suite de la dernière fenêtre hivernale du mercato. Ainsi, le Japon est devenu la quatrième nation étrangère la plus représentée en Liga Bwin, devant l’Argentine, l’Uruguay ou même le Cap-Vert.

Killian Besson, scout et spécialiste du football asiatique, confirme cette tendance japonaise en Liga Bwin, expliquant que « depuis quelques années, de plus en plus de Japonais rejoignent le Portugal au travers de clubs comme Portimonense ». Un club précurseur qui a ouvert la voie pour ses homologues portugais, qui ont vite suivi le mouvement pour plusieurs raisons qu’il énonce : « Les clubs portugais se tournent vers le Japon pour les faibles coûts. Les Japonais arrivent souvent libres. En termes de salaire, les Japonais ne sont pas les plus gourmands non plus. Financièrement, c’est aussi intéressant car le marché japonais est un marché à conquérir. Acheter un joueur japonais, c’est se faire connaître dans un pays de 120 millions d’habitants, qui est un gros consommateur de merchandising ».

Le déclic du Portimonense SC

Le Portimonense SC est l’exemple même de la relation qui est née entre les deux pays. Des Japonais ont déjà évolué au Portugal à partir des années 2000, mais leur présence sporadique n’a pas marqué le championnat portugais. C’est lors de la saison 2017/2018 que les choses ont réellement changé, avec l’arrivée des Japonais Shoya Nakajima et Theo Ryuki, qui se sont engagés avec Portimonense à la suite du sacre en II Liga et de la montée du club dans l’élite. L’arrivée de ces joueurs nippons n’avait rien d’un pari de la part du club de Portimão, mais était plutôt le fruit d’une véritable stratégie mise en place par la direction du club.

Dès 2010, un premier rapprochement s’est établi entre le club de Portimão et la Japon grâce à Takeshi Okada, ancien joueur et sélectionneur du Japon qui a investi peu à peu dans le club jusqu’à devenir l’un des actionnaires majoritaires en 2016. Cette année-là, l’autre actionnaire majoritaire du club, Theodoro Fonseca, accompagné du président de la SAD Rodiney Sampaio et du directeur technique du club Robson Ponte, ancien joueur ayant évolué au Japon, décident de se rendre au pays du Soleil Levant pour une visite XXL. Les trois représentants du club assistent à la finale de J1 League, rencontrent les hauts dirigeants de la fédération japonaise, dont Takeshi Okada qui en est le vice-président, rendent visite à certains joueurs et se rendent dans les bureaux de Mizuno, équipementier japonais du club portugais.

A la suite de ce voyage, couplé à la montée en Liga Bwin à la fin de cette saison, les échanges n’ont fait que se multiplier entre le club portugais et le Japon. Toujours plus de joueurs débarquent en Algarve chaque saison, mais en dehors des Japonais, ce sont aussi des joueurs brésiliens qui débarquent du Japon pour venir jouer en Europe. Dans le sens inverse, certains des joueurs venus du Japon y retournent à la suite de leur expérience portugaise, et d’autres décident juste de tenter l’expérience. Les échanges ne sont pas à sens unique et c’est ce qui explique la qualité et la continuité de cette relation.

Cette stratégie a aussi permis de populariser l’image du club au pays du Soleil-Levant. L’un des derniers japonais à avoir rejoint Portimonense, le gardien Kosuke Nakamura, l’a lui-même attesté lors de sa présentation au club l’hiver dernier. « Portimonense, un club d’une grande renommée au Japon, avait manifesté son intérêt pour moi et comme j’ai senti qu’ils me voulaient vraiment, j’ai accepté sans réfléchir » a-t-il expliqué. Il a même ajouté qu’il a été conforté dans sa décision grâce « aux bonnes recommandations du club transmises par Anzai et Gonda », ses compatriotes eux-mêmes passés par le Portimonense.

Mais ce qui intéresse le plus, en dehors de cette reconnaissance Japonaise, c’est bien le côté sportif et financier. Et sur ce plan, la stratégie du Portimonense s’est une nouvelle fois révélée être payante. L’un des premiers joueurs à être arrivée au club n’est autre que Shoya Nakajima, probablement le Japonais ayant le plus marqué le championnat portugais de son empreinte. En 53 matchs, le milieu nippon a marqué 17 buts et délivré 19 passes décisives sur tout juste 18 mois. Des chiffres intéressants qui ont contribué à mettre son équipe en valeur. En plus d’avoir marqué le Portimonense sur le terrain, le joueur est entré dans l’histoire du club en devenant la plus grosse vente jamais réalisée par Portimonense avec un transfert au Al-Duhail SC, un club qatari qui a déboursé 35 millions d’euros en février 2019 pour s’attacher ses services.

Des profils intéressants

Après avoir ouvert la voie, le Portimonense n’est pas resté longtemps le seul club portugais à compter des Japonais dans ses rangs. Le cas de Shoya Nakajima a attiré l’attention d’autres équipes, dont le FC Porto, qui a rapatrié le joueur au Portugal seulement 5 mois après son départ pour le Qatar. Malheureusement, son expérience à Porto ne s’est pas bien passée. « Ses 6 mois au Qatar avant de signer à Porto ont pu ralentir sa carrière. Cela n’a pas été parfait à Porto, et son prêt à Al-Ain aux Emirats, où il s’est lourdement blessé, en plus d’avoir été inutile pour sa progression a totalement ruiné son mental et sa confiance en lui. Les choix de carrière de Nakajima ont été son plus gros frein » révèle Killian.

Outre Shoya Nakajima, quatre autres Japonais évoluaient au Portugal lors de la saison 2018/2019, dont trois sous les couleurs de Portimonense. Le quatrième joueur, Daizen Maeda, représentait le Maritimo. Car avant de devenir le buteur titulaire du Japon lors de la dernière Coupe du Monde, le natif de Taichi a évolué en Liga Bwin avec le club de Madère. Recruté sous forme de prêt au Matsumoto Yamaga FC, il arrive au Portugal à l’âge de 21 ans et effectue une saison en demi-teinte avec un bilan de 4 buts en 24 apparitions, malgré quelques fulgurances qui ont laissé entrevoir un vrai potentiel. Il retourne donc au Japon à la fin de son prêt mais avec un gain d’expérience considérable.

C’est ce que confirme Killian : « Cette expérience lui a été clairement bénéfique. A son retour au Japon, il a directement signé à Yokohama F.Marinos, un des cadors. Il a fait une bonne seconde partie de saison 2020, et une excellente saison 2021 finissant co-meilleur buteur de J1 League. Il a un profil atypique. C’était compliqué au Maritimo, mais il a pu comprendre comment fonctionnait le football européen. Il est revenu plus affuté physiquement, et surtout plus efficace, et un an et demi après, il a rejoint le Celtic où il s’est bien adapté ».

La saison 2020/2021 marque ensuite un tournant au Portugal. A ce moment, ce sont cinq clubs qui comptent au moins un joueur japonais dans leur effectif. Lors de cette saison, deux noms aujourd’hui bien connus des fans de Liga Bwin débarquent au Portugal dans un certain anonymat. Pourtant, l’un arrive dans la peau d’un international nippon qui a déjà remporté deux fois le championnat japonais et l’autre dans la peau d’un international U20 avec son pays. Hidemasa Morita rejoint Santa Clara et Kanya Fujimoto rejoint Gil Vicente. Le premier s’impose très rapidement comme un titulaire indiscutable dans son équipe et ne reste qu’une saison et demie puisqu’il rejoint le Sporting l’été dernier, en échange d’une somme avoisinant les 4 millions d’euros. Le second s’impose lui aussi très vite dans le onze de l’équipe de Barcelos et est même un acteur clé de l’excellente et historique saison 2021/2022 de Gil Vicente.

Toutes ces nouvelles arrivées s’expliquent par l’intérêt croissant que portent les clubs portugais à la J1 League, un championnat qui voit son niveau de jeu se développer saison après saison. « De plus en plus de joueurs japonais sont au niveau de l’aventure européenne, explique Killian. On le voit en sélection, où les choix sont de plus en plus durs pour le sélectionneur. Mais les joueurs sont bien conscients qu’ils ne peuvent pas débarquer dans un grand club comme ça, ils ont besoin de s’adapter. Un championnat comme au Portugal est excellent pour s’adapter : relevé, médiatisé, connu pour former et post-former d’excellents jeunes et avec une ferveur autour des clubs. C’est un excellent environnement pour se développer en tant que joueur ».

Cet hiver, un nouvel international japonais est arrivé en Liga Bwin. Yuki Soma débarque au Portugal après avoir participé à la Coupe du Monde pour représenter Casa Pia, la révélation de la première partie de saison. Pour son premier match, le joueur de 25 ans a joué seulement 28 minutes mais a réussi à marquer un but et délivrer une passe décisive. « On a senti qu’il s’amusait vraiment sur son premier match, il va tout donner. En plus il sera accompagné de son compatriote Kuni, ce qui aidera son adaptation » informe Killian.

Selon lui, c’est le joueur japonais à suivre au Portugal : « Je pourrai parler de Kanya Fujimoto, mais il faudra suivre attentivement Yuki Soma. Je le suis depuis longtemps, et c’est un joueur qui a fait d’excellents choix de carrière. A Nagoya, il était beaucoup comparé à Kaoru Mitoma, ils avaient le point commun de faire tourner les têtes des défenses adverses. C’est un petit ailier très rapide et explosif, qui centre bien et a une superbe conduite de balle. Il tire bien les coups de pied arrêtés, mais peut encore travailler son efficacité face au but. Il arrive à Casa Pia avec déjà beaucoup d’expérience mais il a encore une belle marge de progression ».

Portugal et Japon, des liens qui se renforcent

Nous l’avons donc vu, toujours plus de joueurs japonais rejoignent le Portugal. L’intérêt des clubs portugais pour le marché japonais ne cesse de croitre, et les profils des joueurs qui arrivent sont toujours plus intéressants, et leurs performances toujours plus marquantes.

Historiquement, des liens fort existent entre le Portugal et le Japon. Puissance maritime au XVIe siècle, le Portugal est l’un des premiers pays européens à tisser des liens commerciaux et culturels avec le pays du Soleil-Levant. Les Portugais ont eu une présence très marquée au Japon, possédant plusieurs comptoirs commerciaux, notamment à Nagasaki, et ont laissé des traces de leur passage en influençant la langue japonaise, dont certains mots sont des dérivés de la langue de Luis de Camões.

En novembre 2022, les liens entre le Portugal et le Japon se sont un peu plus renforcés puisque l’UD Oliveirense a été racheté à 52,5% par un groupe japonais, le Groupe Onodera, aussi propriétaire du Yokohama FC en J2 League. Dans un communiqué du club, il est précisé : « A l’avenir, nous allons renforcer le développement des employés et des joueurs grâce à cette coopération avec le Yokohama FC ».

L’ambition commune des deux clubs est de « promouvoir la formation et le scouting à l’UD Oliveirense, faisant du club une première étape en Europe pour les jeunes joueurs japonais, et un point de départ vers le Japon pour les joueurs au Portugal ». Les nouveaux investisseurs ne parlent pas d’une relation à sens unique mais bien d’un partenariat entre les clubs, promettant des investissements en vue d’améliorer les installations du club portugais, le dotant d’un nouveau centre d’entrainement et de nouveaux terrains. « Même si les clubs japonais sont loin d’être aussi fortunés que les clubs saoudiens, ils pourront quand même investir pas mal d’argent, dans les infrastructures notamment » confirme Killian.

Comme premières avancées de cette nouvelle relation, le club a décidé d’envoyer le célèbre Kazuyoshi Miura, joueur professionnel le plus vieux du monde âgé de 55 ans, au Portugal. « Son arrivée à Oliveirense est symbolique, annonce Killian. Cela va attirer les regards du Japon, puisque c’est une légende vivante là-bas, lui qui est surnommé King Kazu. Sur le terrain, il va très peu jouer mais il va apporter énormément d’expérience en revanche ». En parallèle, le Japonais Nobuyuki Yamagata a été nommé président de la SAD par le groupe, alors qu’il occupe aussi des fonctions au Yokohama FC, ce qui lance donc définitivement l’association des deux clubs.

D’autres clubs portugais tissent des liens de plus en plus fort avec le Japon, à l’image du Benfica. Le club reconnu à l’international pour sa formation, s’intéresse aussi à ce marché. En 2019, les Encarnados ont annoncé l’arrivée du gardien Leo Kokubo, alors âgé de 18 ans. L’international espoir japonais avait tapé dans l’œil du club lisboète lors d’une rencontre en jeunes, alors qu’il évoluait avec le Kashiwa Reysol. Depuis 2019, le gardien de but a gravi les échelons de la formation, jusqu’à faire ses débuts en professionnel avec l’équipe B. Avec le départ d’Helton Leite, le gardien de 22 ans a été définitivement intégré à l’équipe première héritant du rôle de troisième gardien, position qui s’explique par le fait que le Benfica possède deux autres grands espoirs pour le poste de doublure avec Samuel Soares et André Gomes.

Quoiqu’il en soit, le Benfica semble satisfait de son choix de recruter sur ces terres puisque le club a déployé un dispositif plus important au Japon. L’été dernier, le Benfica a envoyé des encadrants du centre de formation à Tokyo et Osaka pour organiser des Camps de Football, offrant la possibilité à plusieurs jeunes joueurs d’expérimenter la méthodologie d’entrainement du club portugais. De l’autre côté, des formateurs ont pu être initiés aux méthodes de travail et à la philosophie de jeu déployé au Seixal. Cette initiative a été perçue comme un succès par le club, puisque plus de 80 jeunes Japonais et plusieurs formateurs ont pu profiter de l’expertise benfiquiste. La direction a d’ores et déjà annoncé travailler sur le plan en cours pour mettre en place de nouvelles activités au Japon.

Pour le moment, le championnat portugais compte donc une dizaine de joueurs japonais. Mais à la vitesse à laquelle les échanges entre les deux pays évoluent, il ne serait pas surprenant de voir ce contingent continuer de s’agrandir lors des prochaines années.

Crédit photo : IconSport

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