L’agonie du football à Madère

La relégation du Maritimo en II Liga renvoie un peu plus l’image d’un football madérien à l’agonie, qui va devoir se réinventer pour retrouver les sommets qu’il a autrefois connu.

Après plusieurs mauvaises saisons à flirter avec la relégation, l’inévitable est arrivé pour le Maritimo. Pensionnaire de longue date de l’élite, le club de Funchal a finalement été relégué en II Liga après sa défaite en play-off, aux tirs au buts, face à l’Estrela da Amadora.

Cette saison, la Région Autonome de Madère ne comptera donc aucun représentant en Liga Portugal Betclic, une première depuis de très nombreuses années, après une saison 2015/2016 où l’île comptait même trois équipes dans l’élite. Mais la chute du Maritimo n’est pas anecdotique, elle est révélatrice de problèmes bien plus importants dans le football madérien, et plus largement portugais.

L’apogée de Madère, puis la descente

Elle parait loin, l’époque où les équipes madériennes étaient des porte-étendards du football portugais en Europe. Autour du début des années 2010, le CS Maritimo et le CD Nacional bataillaient pour les places européennes et les deux équipes ont même réussi à participer aux phases de poules de la Ligue Europa. Ainsi, lors de la saison 2009/2010, après avoir éliminé le Zenit en barrages, le Nacional avait accueilli l’Athletic Bilbao ou encore le Werder Brême dans son stade d’environ 5000 places, perché dans les montagnes madériennes. A son tour, lors de la saison 2012/2013, le Maritimo avait accueilli Newcastle, les Girondins de Bordeaux et le Club Brugge dans l’Estadio dos Barreiros.

Malgré les nombreuses qualifications pour les tours préliminaires de la Ligue Europa, les épopées européennes des équipes madériennes restent ponctuelles, un problème que l’on retrouve chez beaucoup d’équipes portugaises accédant aux places européennes. C’est plus récemment que le football madérien a connu son apogée sur le plan national, lors de la saison 2015/2016. Le Maritimo et le Nacional ont été rejoint par l’União da Madeira en Liga Betclic, portant au nombre de trois les représentants madériens dans l’élite du football portugais. Un petit exploit quand on sait que les trois clubs sont basés à Funchal, une ville d’environ 110 000 habitants. Mais la bonne performance ne durera qu’une saison puisque l’União da Madeira est redescendu après sa seule saison dans l’élite.

C’est justement ce troisième club de Madère qui va initier la chute du football madérien car le club finit par se perdre dans les divisions inférieures portugaises. Mais le coup de grâce sera porté par les mauvaises finances du club. L’União était déjà dans une situation catastrophique avant d’accéder à l’élite portugaise et plusieurs années après sa descente, le club n’arrivait plus à payer les salaires de ses différents employés. Finalement, alors qu’il évoluait en quatrième division portugaise, le club a été dissout par une décision judiciaire, en novembre 2021.

Des équipes au plus bas

L’année 2021 marque un tournant pour le football madérien car en plus de la dissolution de l’União da Madeira, le Nacional quitte la Liga Betclic en finissant à la dernière place du championnat et descend en II Liga, alors que le Maritimo se maintient de justesse dans l’élite. Depuis 2021, les deux équipes de Madère affichent un niveau toujours plus faible saison après saison. Le Nacional a lutté pour son maintien en II Liga la saison passée alors que la Maritimo va rejoindre son voisin en II Liga après sa défaite en barrages face à l’Estrela da Amadora.

La descente en II Liga du Maritimo est l’exemple le plus criant d’un football insulaire qui va très mal. Cette relégation met un terme à une série de 38 années de présence en Liga Betclic, un chiffre dont très peu de clubs peuvent se vanter au Portugal. Par cette longue présence, le Maritimo peut prétendre au statut de club historique portugais, et de meilleur club madérien. La descente des verde-rubros est une réelle perte pour le football portugais qui voit l’une des meilleures ambiances du championnat disparaitre. Le club possède en effet une base de supporters très importante. Sur la saison passée, malgré de mauvais résultats, le Maritimo comptait en moyenne 8500 spectateurs à domicile, faisant de l’Estadio dos Barreiros le 6e stade de la Liga Betclic en terme d’affluence absolue. Concernant l’affluence relative, le club dépassait le ratio des 80% d’occupation, se situant juste derrière le Benfica et Porto. Mais malgré cette fervente base de supporter, la descente n’a pas été évitée, car le nerf de la guerre se situe du côté des finances.

La question du financement public

Pour trouver des réponses à la chute du football madérien au-delà du sportif, il faut chercher du côté du financement du football professionnel sur cette île. Il n’est un secret pour personne que la fortune d’un club est un élément essentiel à la bonne santé d’une équipe. Ces dernières années au Portugal, de nombreux clubs historiques et professionnels sont redescendus aux niveaux amateurs face à une gestion des finances désastreuses. Les exemples ne manquent pas et on peut ainsi citer des clubs tels que Beira-Mar, le Vitoria Setubal ou encore l’União de Leiria.

Mais à Madère, la question du financement possède une dimension politique très importante. Pendant de longues années, le principal investisseur des clubs madériens n’était autre que le Gouvernement de la Région Autonome de Madère, fournissant des capitaux avec de l’argent public. L’archipel possède un statut particulier au Portugal, comme pour les Açores, et bénéficie ainsi d’une certaine autonomie. L’ancien Président de ce gouvernement, Alberto João Jardim avait décidé d’allouer des sommes conséquente au football, l’utilisant comme porte-étendard, en garantissant même plus de 30 millions d’euros pour la rénovation de l’Estadio dos Barreiros. Mais la crise politique et financière de 2011 a marqué tournant avec l’arrivée d’une politique économique plus austère et une réduction importante des financements publics pour les clubs, comme l’expliquait le journaliste Walter Faria pour le site ZeroZero. Le tout renforcé par l’arrivée de Miguel Albuquerque au poste de Président du Gouvernement Régional, moins enclin à aider le football.

Aujourd’hui, le gouvernement de l’île continue d’aider les clubs mais dans des proportions bien moindres. Lors de la saison 2014/2015, ces aides montaient à 2 millions d’euros pour le Marítimo et le Nacional, tous deux en Liga Betclic à l’époque. Cette saison, le Maritimo recevait environ 1,7 millions d’euros d’aides de la part du gouvernement, une somme qui sera divisée par deux la saison prochaine en II Liga. A la suite de la descente du Maritimo, Miguel Albuquerque disait : « Le Gouvernement Régional n’a pas la possibilité, et il n’est pas acceptable politiquement, de mettre plus d’argent dans le football professionnel que ce que la loi nous permet », ajoutant qu’une « réflexion doit être menée concernant les nouvelles formes de financement du football professionnel mais cela est du ressort des clubs et de leur direction, et non de celle du gouvernement ».

Des financements privés compliqués

La couleur est annoncée pour les clubs professionnels de Madère : s’ils veulent continuer d’exister, il va falloir qu’ils trouvent de nouveaux capitaux par leurs propres moyens. Dans cette optique, le Maritimo a déjà annoncé dissoudre son équipe des moins de 23 ans, représentant une économie d’un demi-million d’euros pour la saison à venir. Mais les économies ne sont pas suffisantes, il faut aller chercher de nouveaux investisseurs. Une tâche particulièrement ardue pour les clubs issus de cette petite région ultrapériphérique, selon le journaliste Walter Faria : « Les clubs du continent ont plus de facilités pour trouver de l’aide. A Madère nous n’avons pas le tissu économique de ces régions et je pense notre région va encore souffrir de ça. Il est nécessaire d’ouvrir les portes à des investissements étrangers, comme d’autres équipes l’ont déjà fait ».

C’est bien ce que tente de faire aujourd’hui le Maritimo, qui cherche à se tourner vers des investissements étrangers comme l’a fait le Santa Clara, club des Açores partageant certains points communs avec son homologue de Madère. Le président du club funchalais Rui Fontes a récemment proposé un plan stratégique permettant au club de négocier l’entrée d’investisseurs privés. De nombreux socios ont protesté, non par méconnaissance de la situation financière du club, mais à cause d’une trop grande opacité sur les modalités de cet investissement. Et aussi, par lassitude d’une direction instable qui se traduit dans la gestion de l’effectif depuis plusieurs saisons. La plan stratégique de Rui Fontes a finalement été validé, permettant la vente d’au maximum 40% de la SAD, pour une somme espérée de 17 millions d’euros selon A Bola. Mais encore faut-il trouver les bons investisseurs, enclins à investir une aussi grosse somme tout en gardant l’identité du club, un projet face auquel certains socios sont plus que dubitatifs, d’autant plus en voyant le cas de Santa Clara, club relégué en II Liga cette année.

Un football à préserver

L’identité du Maritimo, celle du Nacional et du football madérien de manière générale doit être conservée car elle occupe une place importante au Portugal. Le Maritimo peut être évoqué comme un club historique du Portugal, non par son palmarès certes, mais par sa masse de supporters, son histoire en Liga Betclic et ses parcours européens. L’île de Madère représente aussi un vivier de joueurs talentueux, en étant la terre d’origine de l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football, Cristiano Ronaldo et d’autres figures du football portugais comme les entraineurs Leonardo Jardim et Ivo Vieira, et les joueurs Danny et Ruben Micael ou encore d’une certaine manière, Pepe.

Mais le rapport de cette île au football est bien plus profond et historique car c’est à Madère qu’est né le football au Portugal. Ou comme l’indique une inscription murale dans la commune de Camacha : « Aqui se jogou futebol pela primeira vez em Portugal. 1875. Camacha ». Selon certains historiens, on doit le football au Portugal à un certain Harry Hinton, né à Madère dans une famille anglaise, qui organise alors le premier match de football sur le territoire portugais au Largo da Achada.

Pour la saison 2023/2024, aucun représentant insulaire ne sera présent en Liga Betclic, traduisant bien la tendance d’un championnat toujours plus centralisé autour des deux pôles que sont Porto et Lisbonne. En perdant ces équipes, le championnat perd en diversité. Mais il est du ressort de ces clubs de se renouveler, de se restructurer, avec des administrations plus stables et organisées, afin de retrouver la Liga Betclic au plus vite. Le Maritimo, en particulier, se trouve à un tournant de son histoire. Le club ne veut pas passer plus d’une saison en II Liga, mais il va falloir prouver sur le terrain que la place des équipes madériennes se trouve dans l’élite portugaise.

Crédit photo : IconSport

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