Interview exclusive – Paulo Turra (ex entraîneur Vitoria SC) : “À Guimarães, ils savent que j’ai fait du bon travail”

Revenu au Vitoria SC en 2023 en tant qu’entraîneur, près de 20 ans après avoir joué sous les couleurs du club, le technicien brésilien Paulo Turra a livré une longue interview pour le site Trivela.fr.

T : Bonjour Paulo Turra, merci pour cet entretien. Vous avez quitté le Vitoria SC en octobre dernier. À quoi ressemble votre quotidien, depuis ?

PT : Bonjour. Quand je suis parti du Vitoria j’ai eu quelques propositions, mais pour le moment, je préfère donner ma priorité au fait de me former, en compagnie de mon staff. Nous faisons plusieurs réunions chaque semaine pour apprendre ensemble, je prends également trois cours d’anglais par semaine… Je passe le plus clair de mon temps à développer mes capacités d’entraîneur, à progresser sur la partie tactique, le développement individuel des joueurs, la partie collective… Je me forme patiemment, et dès qu’un club va réunir toutes les conditions pour me permettre de pouvoir bien travailler, on en discutera pour voir si ça abouti.

T : En septembre dernier, le Vitoria SC vous a contacté pour diriger l’équipe première, près de vingt ans après votre premier passage au Portugal en tant que joueur. Quels souvenirs aviez-vous gardé du Portugal ?

PT : Je n’ai gardé que de très bons souvenirs du Portugal, que ça soit à Boavista ou au Vitoria. J’ai passé quatre années exceptionnelles, durant lesquelles j’ai gagné le respect de tout le monde, et je me suis aussi fait beaucoup d’amis. Depuis que je suis rentré au Brésil, j’ai toujours gardé un lien avec le football portugais. Je suis toujours resté en contact avec beaucoup de personnes au Portugal et l’idée de revenir a toujours été dans un coin de ma tête. C’est arrivé, même si malheureusement, ça a été un peu court.

T : Vous n’êtes resté qu’un mois et demi au Vitoria, avant d’être démis de vos fonctions d’entraîneur. Comment expliquez-vous cela ?

PT : Au Vitoria, je n’ai fait que six matchs. Quand je suis arrivé au club, je savais que j’avais un énorme travail à faire, parce qu’il fallait effectuer une pré-saison en cours de saison. Tout le club peut affirmer que l’équipe n’avait pas fait une pré-saison comme elle aurait dû le faire. Tout était à refaire sur la partie athlétique, et j’y suis allé avec ce premier objectif. Je devais donc apprendre à connaître chaque joueur de manière individuelle, tout en faisant une pré-saison en cours de saison, car c’était déjà la troisième journée de championnat. J’ai aussi dû m’adapter au modèle de jeu alors en place, qui n’était pas mon préféré. L’équipe était habituée au 5-3-2, j’ai dû modifier certaines choses pour mettre en place en 3-4-3. Tout ça en seulement quelques jours semaines.

Paulo Turra

T : Vous parlez beaucoup du travail athlétique effectué, pouvez-vous en dire plus ?

PT : Quand j’ai été contacté, j’ai regardé les matchs, les vidéos de l’équipe. J’ai rapidement fait le diagnostique et comme j’avais une idée précise de là où je voulais amener l’équipe, je savais qu’il fallait passer par cette phase de travail athlétique. J’avais conscience qu’on avait du retard dans ce domaine et que pour obtenir ce que je voulais mettre en place, j’avais besoin d’une équipe bien plus forte physiquement. J’aime quand mes équipes jouent avec de l’intensité, avec et sans ballon. Quand on ne laisse pas d’espace aux adversaires et qu’on arrive à le faire sur 90 minutes. Nous avons réalisé un très bon travail dans ce domaine. Beaucoup de joueurs m’ont remercié par la suite, en me disant qu’ils se sentaient mieux physiquement depuis mon passage au club. Que ça soit à l’entraînement, en salle, et même sur l’après-entraînement, nous avons réalisé un travail qui jusqu’à aujourd’hui, aide la plupart des joueurs.

T : N’est-ce pas difficile de faire adhérer les joueurs à ce type d’entraînement, souvent peu apprécié en cours de saison ?

PT : Les joueurs sont intelligents, ils sont capables de comprendre ce qui est nécessaire pour eux et pour l’équipe. Et puis notre approche a également été intelligente, il ne s’agissait pas juste de courir dans le vide et d’aller plus souvent à la salle de musculation. 95% du travail athlétique a été fait avec ballon, toujours dans le but d’améliorer l’intensité en match. Les joueurs savaient que ça allait parfois être difficile mais qu’ils allaient finir par récolter les fruits de tout ce travail. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Désormais, le Vitoria a une équipe très agressive, très rapide, capable d’attaquer les espaces et de jouer vite vers l’avant. La difficulté pour moi, c’était d’allier cette préparation physique en cours de saison, à l’implémentation de mes idées de jeu. J’ai dû faire les deux choses en même temps, dans un délai réduit. Quand j’ai accéléré sur la partir tactique et que j’ai pu mettre mes idées en places, en leur expliquant comment je voulais qu’on attaque et qu’on défende, le président a pris la décision de me mettre à la porte. Je respecte sa décision, même si je continue de penser que le travail a été bien fait.

T : Pensez-vous qu’aujourd’hui, les entraîneurs manquent de temps pour travailler ?

PT : Ce n’est pas qu’au Portugal, ça existe dans tous les pays, dans tous les championnats. Il y a un imméditatisme. Tout doit arriver en un claquement de doigt, l’équipe doit gagner, faire du beau jeu, réussir à faire de grands scores… Nous on sait très bien que ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, que ça demande du temps et du travail.

T : Que retenez-vous du travail effectué durant ces quelques semaines ?

PT : J’avais un contrat de deux saisons et je n’ai fait que 42 jours, mais honnêtement, je pense que le travail a été bien fait. Et ceux qui ont suivi le travail réalisé par l’ensemble du staff savent que nous avons bien travaillé. On a laissé le club à la cinquième place et aujourd’hui, il y est toujours. Certains joueurs se sont développés grâce à mon passage. J’ai aussi changé le schema de jeu et le nouvel entraîneur l’utilise toujours. J’ai fait ma part du travail. Malheureusement, le président a fait son choix, je ne suis pas forcément d’accord avec son avis mais au final, c’est lui qui décide. Mais les personnes qui sont là-bas et qui ont un peu de discernement ont su faire preuve de reconnaissance envers mon travail. Ils savent que j’ai laissé le club dans de bonnes conditions pour la suite.

T : Vous avez parlé du développement individuel des joueurs. Il y a un joueur du Vitoria qui explose cette saison, c’est Jota Silva. Que pouvez-vous nous dire sur sa progression ?

PT : En début de saison, il m’a dit qu’il n’avait pu disputer que 2 matchs complets durant toute la saison passée. C’est un joueur qui n’arrivait pas à supporter la charge physique des rencontres. Aujourd’hui, c’est non seulement un joueur qui enchaîne les matchs, mais en plus de ça, il est capable de courir jusqu’à 13 kilomètres sur les 90 minutes. Elle est principalement là, son évolution. Pour arriver à avoir le niveau d’intensité qu’il a aujourd’hui, il a dû travailler très dur sur la partie physique, qui l’a finalement aidé pour tout le reste.

T : Son compère de l’attaque André Silva réalise également une saison bien meilleure que la précédente. Comment évaluez-vous sa progression ?

PT : Le point de départ de sa progression, c’est qu’il était déjà un très bon joueur. Très bien développé, notamment sur l’aspect technique. Avec André Silva, on a travaillé sur trois aspects précis. C’est un joueur qui est très adroit dans la surface, mais qui devait progresser sur la vitesse de ses enchaînements et sur sa capacité à finir en une seule touche de balle. On a beaucoup travaillé sur ce point et si tu regardes les buts marqués cette saison, ce ne sont que des buts avec une prise de décision ultra rapide. Nous avons également travaillé sur son positionnement. La saison passée, il jouait dans un système à deux attaquants. À mon arrivée, j’ai voulu passer à trois devant, avec André Silva, Jota Silva et João Mendes. Cela lui a permis de se retrouver dans une position plus axiale, où il excelle. Il a désormais deux soutiens, ça l’aide énormément parce qu’il n’a plus besoin d’aller explorer des zones excentrées. Son champ d’action s’est restreint à sa zone préférentielle. Enfin, le dernier point, c’est sur la partie athlétique. Lui aussi a fait d’énormes progrès dans ce domaine et ce n’est pas un hasard s’il arrive à être décisif avec autant de régularité.

Vitor Roque

T : Le milieu de terrain du Vitoria SC, Tomas Handel, réalise également une belle saison. Est-il en train de passer un palier ?

PT : Je n’ai aucun mal à affirmer que c’est bientôt la fin de son temps au Vitoria. Il mérite d’aller encore plus haut car il a fait d’énormes progrès. Quand je suis arrivé au club, j’ai remarqué qu’il restait énormément en retrait, toujours en soutien de l’équipe. Moi, j’aime les milieux qui arrivent à se projeter. J’ai également fait un gros travail avec lui, avec beaucoup d’échanges, des vidéos, pour lui faire comprendre qu’il pouvait aussi développer sa présence dans le camp adverse. C’est un joueur qui a beaucoup progressé sur cet aspect. Il arrive désormais à se projeter. Je trouve qu’il a énormément de qualités. Un jeune milieu de terrain, gaucher, intense dans ce qu’il entreprend… c’est vraiment un joueur spectaculaire. Toutes proportions gardées, il me rappelle Fernando Redondo. Dans le style de jeu, il y a des similitudes.

T : Vous avez l’air d’axer énormément votre coaching sur la partie individuelle. Est-ce votre passé d’entraîneur adjoint, notamment auprès de Luiz Felipe Scolari, qui a renforcé cette particularité ?

PT : C’est vrai que j’accorde énormément d’importance à l’individualité, et c’est pour ça qu’à l’époque, Luiz Felipe Scolari m’a appelé pour travailler avec lui. Je suis en effet un entraîneur qui observe énormément les caractéristiques individuelles de chacun. Je pense que si tu as un effectif individuellement fort, tu auras automatiquement un collectif fort. Pour moi tu ne peux pas avoir un collectif fort si l’aspect individuel est faible. Alors oui, j’aime développer l’individualité, et trouver des axes de progression à chacun qui, à terme, serviront au collectif.

T : En tant qu’ancien entraîneur du Club Athletico Paranaense, vous avez été directement impliqué dans le développement du jeune talent brésilien Vitor Roque, qui évolue désormais au FC Barcelone. Que pouvez-vous nous dire sur lui ? 

PT : C’est un crack. Je pense qu’il est parti au bon moment dans le bon club. Le Barça possède Robert Lewandowski, donc Vitor n’aura pas la pression qu’il aurait eu s’il avait dû être le référence offensive du club. Il pourra bénéficier d’une période d’adaptation au club, à la ville, au football espagnol. Il est encore jeune donc c’est important de prendre son temps. Cela va également dépendre de l’évolution de son équipe, mais je n’ai aucun doute sur le fait que d’ici trois à cinq ans, il pourrait faire partie des trois meilleurs joueurs du monde. Il a énormément de talent, et en plus de ça, il a une tête bien faite, qui sera son meilleur allié tout au long de sa carrière. Il est focalisé sur ses objectifs.

Vitor Roque

T : Vitor Roque fait partie de cette nouvelle génération de joueurs brésiliens qui pourraient relancer l’équipe nationale ?

PT : On parle d’un pays de 230 millions d’habitants, considéré comme le pays du football. Il y a quelques années, on avait des Ronaldinho, des Rivaldo. Aujourd’hui, qu’est ce qu’on a ? Je pense qu’il y a un réel problème avec la formation des joueurs au Brésil. Il y a de plus en plus de monde, les clubs sont de mieux en mieux structurés, avec des infrastructures de plus en plus qualitatives, mais on sort de moins en moins de talents. L’an passé, il était permis d’avoir cinq joueurs étrangers par club au Brésil et cette année, on est passé à 7. Il y a des clubs qui ont 10 joueurs étrangers dans leur effectif. C’est bien qu’il y a un manque de bons joueurs au Brésil, qui nous pousse à aller chercher d’autres joueurs venus d’autres pays d’Amérique du Sud, pour compenser ce manque.

Alors oui, il y a des exceptions comme Vitor Roque, mais ces profils sont trop peu nombreux par rapport à ce qu’on devrait avoir avec le développement des conditions de travail dans les clubs. On a mis de côté notre ADN et cela résulte sur une absence de Coupe du Monde remportée depuis 22 ans. Et je parle de gagner une Coupe du Monde, mais même un bon parcours, on en est très loin. En 1982, le Brésil n’avait pas gagné la Coupe du Monde mais avait réussi à laisser une superbe image avec un football spectaculaire. À l’heure actuelle, je ne sais pas quand on arrivera à retrouver une Seleção de ce genre.

T : Comment expliquer ces lacunes dans la formation des joueurs brésiliens ?

PT : Je pense que le football a beaucoup changé au cours des dernières années. Quand j’étais joueur, on était sur un football d’individualité. L’entraîneur n’avait pas autant d’influence sur le jeu, comme c’est désormais le cas. À l’époque c’était différent, il y avait plus d’individualités qui faisaient la différence dans les matchs. C’était l’individualité qui était le plus important. Aujourd’hui, ce qui compte c’est le collectif, la tactique. La façon de presser, d’attaquer, de construire, c’est ça qui détermine le sort d’un match. Le football tactique est très important mais je pense que le football moderne est en train de perdre la capacité de dribble, la notion d’initiative, la “ginga”. Le football est de plus en plus marqué par des dynamiques collectives et automatiquement, on perd certains aspects importants du jeu individuel. Moi je pense qu’on pourrait réussir à concilier les deux aspects. Ok pour un football plus tactique, mais un football qui ne freine pas le dribble et la prise d’initiative individuelle.

Pour moi, cela vient principalement de la formation. Les joueurs ont été formatés dès les plus jeunes catégories. Ici au Brésil, les joueurs à 10 ans, 11 ans, travaillent déjà sur des aspects tactiques, des déplacements sans ballon. Pour moi ils devraient commencer à parler de tactique à partir des 14, 15, voire 16 ans. Jusqu’à cet âge-là, ils devraient davantage évoluer sur la partie individuelle, leur capacité à dribbler, à frapper, à conduire le ballon. Aujourd’hui, ces aspects techniques sont laissés de côté. C’est pour ça que quand ils arrivent en équipe première, les jeunes joueurs paraissent robotisés.

T : Vous nous avez parlé des clubs brésiliens qui vont de plus en plus chercher des joueurs à l’étranger, c’est aussi le cas chez les entraîneurs. Le Brasileirão compte actuellement plusieurs entraîneurs étrangers, dont trois Portugais. Qu’en pensez-vous ?

Le Brésil a pris du retard sur la formation des entraîneurs. Au Portugal, on forme des entraîneurs depuis les années 1950. Au Brésil, on a commencé à le faire en 2013. Comme nous en avons parlé tout à l’heure, le Brésil s’est longtemps reposé sur la qualité de ses individualités, sans chercher à développer le savoir-faire de ses entraîneurs.

Pour ce qui est de la venue des étrangers, moi je ne suis pas contre, c’est important de bien les accueillir parce que nous sommes toujours très bien accueillis quand nous quittons nos frontières. Mais ils viennent principalement parce qu’il existe des lacunes chez les entraîneurs brésiliens. Il y a aussi une autre question à soulever concernant le traitement réservé aux entraîneurs selon leur pays d’origine. En général, au Brésil, il y a une tolérance bien plus importante vis-à-vis des entraîneurs étrangers. Comme ils viennent d’autres pays, on fait preuve de plus de compréhension avec eux, on leur laisse davantage le temps de s’adapter au football local. Pour un entraîneur brésilien, un contrat dure jusqu’à ce qu’il y ait deux défaites consécutives.

Crédit photo : IconSport

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