Entretien – Gaïus Makouta (2/3) : “Ruben Amorim m’a dit “aide-moi et je t’aiderai””

Après sa formation en France et les passages compliqués en Irlande et en Grèce évoqués dans la première partie de l’entretien, Gaïus Makouta a découvert le Portugal sous les couleurs de Covilha, puis de Braga. Dans cette deuxième partie, l’actuel joueur du Boavista nous raconte son arrivée au Portugal, son passage sous les ordres de Ruben Amorim, son prêt en Bulgarie ainsi que son départ du SC Braga…

Tu as ensuite rejoins le Portugal. Comment s’est passé ton transfert à Covilhã ?

GM : J’avais un coéquipier en Grèce, un Portugais formé au FC Porto qui s’appelle Hugo Sousa. Il était souvent avec moi, il me voyait jouer et il m’a dit que ses anciens agents avaient de bons contacts au Portugal. Il avait confiance en moi et m’a mis en contact avec eux. Ils ont pris mon dossier en main et m’ont proposé à plusieurs clubs, dont Covilhã.

L’entraîneur c’était Antonio Gouveia, un Portugais qui avait joué à Montpellier par le passé. J’ai fait des essais là-bas, ça s’est bien passé, l’entraîneur a voulu me garder donc j’ai signé. Après quelques matchs, le coach a démissionné. Une fois de plus, celui qui m’a fait venir est parti au bout de quelques semaines. On a eu un nouvel entraîneur, et de septembre à janvier, il ne m’a jamais fait jouer… Ni sur le banc, ni rien du tout.

J’étais bon à l’entraînement, mais j’étais toujours hors du groupe. Moi, je ne suis pas du genre à parler au coach, je veux jouer, prouver sur le terrain, je ne demande pas d’explications en général. En plus, je ne parlais pas très bien portugais à l’époque. Avant d’aller en vacances pour les fêtes de fin d’année, il y a deux anciens qui m’ont aidé, Kheireddine Zarabi et Mamadou Djikiné. On est allé voir le coach tous les trois pour lui demander ce qu’il me reprochait. Il m’a dit que je manquais d’expérience, je lui ai répondu qu’il fallait justement que je joue pour en prendre un peu plus…

Quelques jours plus tard, après la trêve, plusieurs milieux se sont blessés et il a été obligé de me faire jouer des matchs amicaux avant de me lancer en championnat. On a joué le Sporting B, on a gagné et j’ai fait un bon match. J’ai pu enchaîner avec une deuxième titularisation de suite et à partir de là, je ne suis plus jamais sorti de l’équipe. Même quand le capitaine Gilberto est revenu de blessure, il l’a mis arrière droit pour me laisser sur le terrain. J’ai dû finir la saison avec 24 matchs, je ne m’en suis pas trop mal sorti.

Après cette première saison quasi-pleine en D2 portugaise, ton statut a changé…

GM : Exactement. On a eu un nouveau coach, Dito, qui est parti depuis. Il m’aimait beaucoup, croyait beaucoup en moi, en mon potentiel. J’étais super à l’aise avec lui, mais il a vite arrêté, il me semble qu’il a démissionné. On a eu un autre coach, Filo, avec qui j’ai commencé titulaire. C’était plutôt bien, mais à un moment, il a décidé de me sortir du onze. Sur les 3-4 matchs qui ont suivi, il me faisait débuter sur le banc mais j’entrais très tôt dans le match, parfois à la mi-temps, parfois à la trentième minute…. En fait, il attendait quelque chose de moi. Une fois qu’on était en symbiose, je suis redevenu un joueur clé de l’équipe. Et c’est là que Braga est arrivé.

Tu quittes Covilha pour t’installer à Braga, qui te propose d’abord d’évoluer en équipe B ?

GM : A ce moment-là j’ai eu deux offres : une de Braga et une autre d’Arabie Saoudite. Pour Covilhã, le montant du transfert était le même, mais pour moi, il y avait une vraie différence sur le salaire. Mais j’avais 21 ans, je ne me voyais pas aller en Arabie Saoudite. J’ai préféré accepter l’offre de Braga. J’ai signé là-bas fin janvier pour rejoindre l’équipe B qui était relégable. J’étais à Braga, et quand je me remémorais ce que j’ai connu jusque-là… La Grèce, l’Irlande, les salaires impayés… J’étais à Braga, c’est un club qui a une renommée en Europe.

J’avais convenu avec mes agents que j’allais jouer avec l’équipe B pour le reste de la saison, et que je comptais reprendre avec l’équipe première la saison suivante. Si je ne pouvais pas jouer en D1 au bout de six mois, je voulais qu’on m’envoit en prêt. Je ne voulais pas faire une année de plus en D2, je voulais avancer, passer une nouvelle étape.

Ruben Amorim m’a dit “aide-moi et je t’aiderai en retour”

Et l’été qui a suivi, tu n’as pas eu la possibilité de rejoindre l’équipe première ?

GM : Je suis arrivé à la fin de la saison et je n’ai pas eu de nouvelles. Je ne savais pas avec qui j’allais jouer, si j’étais en équipe première, en équipe réserve… L’été est passé, au final je ne suis pas parti en prêt, je n’ai pas repris avec l’équipe première, et je me suis retrouvé avec la réserve qui était descendue en D3. J’étais l’un des plus grands (1997), je me suis retrouvé qu’avec des 1999, des 2000, des 2001… Je me disais que je n’avais rien à faire là. Du coup, j’avais une mentalité très négative. Je trainais des pieds à l’entraînement, je montrais que je ne voulais pas être là. J’en voulais beaucoup à mes agents, j’ai eu le sentiment qu’on m’avait menti, vendu du rêve.

Le mercato a fermé, et je suis donc resté à Braga avec le coach Rui Santos. Malgré mon manque de motivation, il me faisait jouer. Heureusement qu’à l’époque, Yvan Neyou était là. C’est un ami d’enfance que je connais depuis tout petit, je l’avais ensuite croisé à Auxerre. Lui était en équipe première, mais il me soutenait beaucoup. Au foot j’étais triste, mais en dehors, j’étais heureux. J’avais ma femme avec moi, Yvan aussi que je voyais souvent… On n’habitait pas loin, ils ont vraiment été importants pour moi.

Tu as passé six mois supplémentaires à Braga, dans un climat difficile…

GM : Rui Santos s’est fait virer, on a eu Custodio pendant quelques temps. C’est une figure à Braga, un mec du club. Juste après, on a eu Ruben Amorim. Quand il est arrivé, c’était un tout jeune coach qui sortait de Casa Pia. Il venait juste d’arrêter sa carrière de joueur. Il est venu avec ses idées, de bonnes idées, et son style de jeu bien à lui. Il avait déjà tout ce qu’on voit aujourd’hui au Sporting, avec son 3-4-3. Il n’a pas changé. C’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut, un mordu de foot. Il est stressé quand ça ne va pas, il vit le truc à fond.

Quand il est arrivé, il savait que je n’avais pas envie d’être là. Il m’a d’abord dit que j’étais le joueur qui l’avait le plus impressionné dans l’équipe et qu’il comptait sur moi. Un autre jour, il m’a dit “je sais que tu ne veux pas être là, mais aide-moi et je t’aiderai en retour”. Et moi, j’étais toujours borné, je ne voulais pas être là, je ne voulais pas jouer avec eux. Avec Ruben Amorim j’ai très peu joué. Peut-être une fois ou deux. Et pourtant, quand on faisait des repas tous ensemble, il n’hésitait pas à dire devant tout le monde que pour lui, j’étais le meilleur joueur de l’équipe. Mais avec lui c’est comme ça, il a des idées très claires, il sait où il veut aller. Si tu ne rentres pas dans le rang, il se passe de tes services. Peu importe qui tu es.

Et comment se sont passés les mois de travail avec Ruben Amorim ?

GM : Quand il est arrivé, il a doublé le nombre de séances d’entraînement, il voulait qu’on s’imprègne de ses idées, sa tactique, les positionnements… Un après-midi, on allait faire un entrainement spécifique sur la tactique, ça devait être très cool, très tranquille. On faisait un exercice sans ballon, sans contact, rien, juste des déplacements. J’avais même gardé ma gourmette sur moi. Pendant la séance il s’est énervé, il était furieux. Il a arrêté l’entraînement plus tôt que prévu et nous a réuni au milieu du terrain. Personne n’a compris. Et là, il m’a dit devant tout le monde “Gaius, si tu ne veux pas être là tu me le dis, j’appelle des jeunes à ta place. Des joueurs motivés, ce n’est pas ce qui manque ici.” Il me dit ça à moi, devant tout le monde, alors que je n’avais rien fait de spécial. Et puis il finit par me dire “ici, on ne s’entraîne pas avec une gourmette”, avant de nous renvoyer au vestiaire. Du coup, il ne m’a pas convoqué le week-end qui a suivi. Après ça, c’est redevenu plus tranquille, je me suis entraîné normalement… Et il s’avère que lui a ensuite repris l’équipe première. Et là je me suis dit “oh, si j’avais été plus intelligent, si j’avais été aussi fort qu’il le voulait, il m’aurait peut-être amené avec lui…” Je repensais à sa phrase “si tu m’aides, je saurais t’aider en retour…” Peut-être qu’il savait déjà qu’il allait enchaîner avec l’équipe première, je n’en sais rien. Mais bon, c’est le destin.

“J’étais venu en Bulgarie pour avoir du temps de jeu et au final, on a passé deux mois et demi sans jouer”

Tu as ensuite quitté le Portugal pour un prêt en Bulgarie ?

GM : C’est ça. En janvier, je suis parti à Beroe en Bulgarie. Je ne savais pas trop si je devais y aller, ça me faisait un peu penser à la Grèce. Est-ce que j’allais être payé en temps et en heures… A Braga j’avais mon confort, mon petit appartement, le salaire tombait… Un agent connaissait un joueur, Ahmed Touba, qui jouait à Beroe. J’ai pu l’appeler et il m’a assuré que les conditions étaient bonnes, que le club payait vraiment ses joueurs… Pour moi, c’était le feu vert.

Quand je suis arrivé, il y a eu une vague de Français, ça m’a mis dans un confort. Sur le terrain c’était bien, on a rapidement pris des points, mais après 3-4 matchs, bim, Covid. J’étais venu pour avoir du temps de jeu et au final on a passé deux mois et demi sans jouer. En plus, on ne pouvait pas rentrer chez nous. Je suis resté quasiment deux mois et demi tout seul dans mon appartement. Le monde s’est arrêté, j’étais un peu choqué. Après, avec du recul, c’était plutôt bien. On se retrouvait entre nous avec les Français, des petites soirées jeux, des petits repas… On passait le temps comme on pouvait.

Comment s’est passé le retour à la compétition ?

GM : On repart en juin à huis clos, pour finir le championnat qu’on avait laissé en pause. A ce moment-là je devais rentrer à Braga mais j’ai décidé de prolonger le prêt. Je n’avais pas vraiment de touches ailleurs et j’ai pensé que c’était mieux de rester à Beroe pour avoir du temps de jeu et faire une saison pleine. J’étais installé, je me sentais bien, alors pourquoi pas rester un peu… Puis on part en vacances durant deux semaines, et on revient rapidement pour préparer la nouvelle saison, parce qu’il fallait enchaîner. La reprise du championnat était en juillet.

On avait quasiment la même équipe que la saison précédente, et là on a giflé tout le monde. Quand je dis tout le monde… ils avaient tous peur de nous. Des 6-0, des 4-0… un début de saison de malade avec que des victoires, jusqu’à la trêve de décembre où on a perdu quelques points un peu bêtement sur la fin.

Durant la trêve hivernale j’étais en vacances, et j’ai reçu un coup de fil du directeur sportif de Ferencvaros, il m’a dit qu’il voulait me signer. J’étais intéressé, mais ça n’a pas abouti. La piste la plus chaude, c’était Ludogorets. Ils voulaient me signer en hiver. J’ai discuté avec le directeur sportif que j’ai rencontré dans un restaurant, il m’a dit que Beroe ne voulait pas me libérer et que par respect pour eux, il n’allait pas avancer sur mon dossier, mais qu’il reviendrait à la charge à la fin de mon prêt.

On finit la saison un peu en difficulté et le coach a démissionné. L’adjoint a repris l’équipe, et avec lui ça ne passait pas. Il ne m’a pas fait jouer. Selon lui, mes coéquipiers disaient que j’étais trop perso, que je jouais pour moi… alors que je donnais tout pour l’équipe. C’est un peu triste que ça se soit terminé comme ça, c’était vraiment une belle période, j’ai passé de beaux moments à Beroe. J’en garde de très bons souvenirs. A Beroe, j’ai retrouvé le plaisir de jouer au football, ce que j’avais perdu à Braga.

« On s’est retrouvé à cinq, on nous a dit qu’on était sur le départ »

Tu es revenu à Braga avec un peu plus de bagages…

GM : Après cette expérience, je suis donc revenu à Braga et je me suis dit qu’avec ce que je venais de faire en Bulgarie, le club aurait surement envie de voir ce que je valais, savoir comment j’ai pu évoluer… En fait, rien de tout ça. Ils m’ont envoyé un message pour me dire de venir au club tel jour, telle heure… On s’est retrouvé à cinq avec Rolando, Xadas, Edu et Leandro Sanca, on nous a dit qu’on était sur le départ, qu’il fallait trouver un club et que d’ici là, on allait s’entrainer à part. Des petits entraînements de trente minutes avant les vrais entraînements des équipes du club… J’étais dégouté. J’avais fait une bonne saison et ils n’ont même pas voulu essayer de me donner une chance.

Après ça, tu t’es retrouvé à Boavista, en première division ?

GM : J’ai eu des petites touches avec des clubs turcs, mais rien de bien concret. Ludogorets m’a complètement oublié, ils ne m’ont pas contacté. J’ai eu une offre de Châteauroux en National, ils voulaient me faire signer. Et dans le même temps, mes anciens agents m’ont appelé pour me parler d’un intérêt de Boavista. Et là je me suis dit « ah ouais, la D1 portugaise, Benfica, Porto, Sporting, tout ça, bien-sûr que je suis intéressé ». C’était l’un de mes objectifs de jouer dans un championnat comme celui-là qui ne manque pas de talents…

Dans la troisième et dernière partie de l’entretien, Gaius Makouta évoque son arrivée à Boavista, les difficultés économiques du club, sa relation avec son ex-coéquipier Paul-George Ntep ainsi que la réussite de son actuel entraîneur, Petit.

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